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L’avocat en entreprise : p’têt ben que oui, p’têt ben que non

Par Anne Portmann

L’ancien ministre Bernard Cazeneuve, associé d’August Debouzy et président du Club des Juristes, était, le 27 juin dernier, le maître de cérémonie d’un colloque sur l’arbitrage et la compliance qui se tenait au Conseil économique, social et environnemental. Il y recevait son « ami normand », le premier ministre Edouard Philippe, ancien maire du Havre, qui s’est exprimé publiquement sur le rapport Gauvain qui lui avait été remis la veille.

«J’ai été juge, j’ai été avocat, mais je n’ai jamais été arbitre », a rappelé Edouard Philippe, appelé à la tribune par son ami Bernard Cazeneuve. Il a fait le lien avec la compliance, en disant qu’il était, en quelque sorte, le responsable de la conformité des actions du gouvernement. « Le mot compliance viendrait du français complaire, m’a-t-on dit » a exposé le premier ministre. Et cette notion hybride, « à la limite du droit dur et du droit mou » serait donc le fruit d’une pression extérieure, autre que la règle proprement dite. Un mouvement « sain » selon lui, issu d’une demande de reprise de contrôle par les citoyens, de la nécessité pour les entreprises d’être transparentes et exemplaires. Le revers de la médaille, c’est l’atteinte à la souveraineté économique et le risque majeur pour nos entreprises. « L’impératif éthique devient un impératif économique », constate-t-il, relevant que cela signe la fin de la culture du « pas vu pas pris » qui avait cours naguère.

Edouard Philippe a rappelé que si certaines dispositions, comme la création du Parquet national financier, la loi Sapin 2 qui a créé l’agence française anti-corruption (AFA) ou encore la loi du 23 octobre 2018 de lutte contre la fraude, étaient venues renforcer l’arsenal, un peu daté, des outils mis à la disposition des entreprises françaises, l’édifice n’était pas encore complet. Appelant à parachever la création d’une « compliance à la française », qui consolide la confiance et est un atout pour les entreprises et le pays, il s’est félicité que le signal ait été donné « d’un pays capable de faire évoluer son droit », égrenant les atouts de notre pays, appelé à devenir une place de droit offrant toutes les possibilités en la matière : les nouvelles chambres internationales au tribunal de commerce et à la cour d’appel, un barreau d’affaires dynamique, des procédures efficaces avec la mise en place des CJIP.

Le rapport Gauvain : 1er bilan

Ce colloque était aussi l’occasion pour le premier ministre de s’exprimer publiquement sur le tant attendu rapport Gauvain, qui lui avait été remis la veille, hors la présence de la presse, par le député LREM. Estimant que l’auteur avait proposé « des éléments précieux pour avancer », il a qualifié le document de « premier bilan » qui proposait d’une part, une évaluation du dispositif actuellement mis en place en matière de compliance et d’autre part faisait le constat d’un « équilibre à respecter », disant qu’en la matière, il fallait se garder des excès de zèle et se méfier des effets pervers des mesures mises en place notamment quant aux conséquences sur notre souveraineté juridique. « La compliance doit aider les entreprises et non les brider », résume-t-il. Et si le rapport évoque de nombreuses pistes, Edouard Philippe s’est particulièrement attardé sur… une autre. En effet, alors que le rapport Gauvain préconise, pour renforcer la souveraineté des entreprises, la création d’un statut d’avocat salarié en entreprise, le premier ministre a de son côté souligné le rôle des juristes d’entreprise auquel un « attorney privilege » pourrait être accordé. « Je suis prêt à travailler sur la confidentialité de certains avis juridiques en entreprise », a ainsi dit Edouard Philippe, déconcertant l’auditoire et affirmant sa volonté de « faire des juristes des auxiliaires de justice pour la lutte contre la délinquance économique et financière ». Le rapport affichait pourtant délibérément sa préférence pour garder le lien entre la confidentialité et le titre d’avocat, rejetant pour cela l’option du legal privilege. La question ne semble donc pas encore tranchée au niveau gouvernemental. « C’est un équilibre ténu à respecter, mais nous devons avancer », a conclu Edouard Philippe. Mais dans quel sens ?

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