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La conciliation devant le CIRDI, une procédure méconnue

Par Anne Portmann
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1343 du 26 mars 2018

Le groupe Véolia, dans un communiqué du 9 mars dernier, a annoncé que sa filiale SEEG (Société d’énergie et d’eau du Gabon) avait déposé une demande de conciliation auprès du CIRDI à l’encontre du Gabon à la suite de la décision du pays de rompre la convention de concession dont bénéficiait la société. L’occasion de revenir sur cette procédure méconnue et rare. Décryptage.

Selon le dernier bulletin statistique publié par le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), émanation de la Banque mondiale, seulement dix procédures de conciliation ont été engagées depuis 1972, huit selon la procédure prévue par la Convention CIRDI et deux selon la procédure dite du « mécanisme supplémentaire » CIRDI (pour certains litiges qui n’entrent pas dans le champ d’application de la Convention). Alors que les processus de conciliation sont beaucoup plus développés en arbitrage commercial, quels pourraient être les avantages d’une telle procédure, en matière d’investissement ? S’agit-il véritablement d’un mode alternatif de règlement des conflits plutôt que d’un pré-arbitrage ? Et quelles sont les raisons de la désaffection pour cette procédure ?

Une procédure pour trouver un terrain d’entente

Dans son communiqué, Veolia indique, fait rarissime, que la procédure de conciliation engagée était prévue au contrat signé entre la SEEG et l’État du Gabon. La saisine du CIRDI fait suite à la réquisition, par l’État gabonais des actifs et du personnel de la SEEG et à la résiliation de la concession de service public de production, de transport et de distribution d’eau potable et d’énergie électrique. « Au regard de ces actes brutaux et sans fondement juridique, et de la campagne de diffamation à l’encontre de l’entreprise, de son actionnaire majoritaire et de ses salariés menée actuellement par la République du Gabon, la SEEG estime que les stipulations du contrat doivent être appliquées », a précisé le groupe, indiquant qu’en cas d’échec de la procédure, une requête en arbitrage sera déposée auprès du CIRDI.

En matière d’investissement, les affaires ayant un fondement contractuel sont très rares, la majorité se fondant sur un traité bilatéral d’investissement (bilateral investment treaty, BIT), lequel prévoit généralement un recours direct à l’arbitrage. Et, même lorsque l’affaire est fondée sur un contrat, il n’est pas vraiment courant qu’une clause prévoie le recours à la conciliation CIRDI. Selon les spécialistes, les conventions d’investissement, prévoient, classiquement, une ou plusieurs phases préalables à l’arbitrage, durant lesquelles pendant un certain délai, les deux parties échangent, de manière plus ou moins formelle, sur leurs prétentions respectives et les pièces à l’appui de celles-ci, afin de trouver éventuellement, un terrain d’entente. « Mais il n’y a généralement pas d’intervention de tiers dans cette phase », observe Laurent Jaeger, du cabinet Orrick Rambaud Martel. Pourtant, note-t-il, en matière d’investissement, un tel processus de conciliation n’est pas dépourvu d’intérêt.

En effet, alors qu’en matière arbitrale la décision est imposée par l’arbitre, la conciliation permet aux parties de garder la maîtrise de la décision finale dans le cadre d'un processus négocié. Le site du CIRDI mentionne d’ailleurs cette procédure comme un processus coopératif de résolution des différends à l’amiable, précisant que la commission de conciliation a pour objectif de clarifier les points en litige entre les parties et qu’elle doit s’efforcer de les amener à une « solution mutuellement acceptable ». Le conciliateur n’impose donc pas sa décision comme pourrait le faire l’arbitre. Autres avantages non négligeables : la rapidité de traitement du dossier dans le cadre d’un processus de conciliation et son coût, considérablement plus bas que celui d’un arbitrage. Les avocats spécialistes de la question considèrent cependant que s’il peut être pertinent d’avoir recours à la conciliation, moins brutale qu’une sentence arbitrale tranchée, lorsque les parties savent qu’elles seront inéluctablement amenées à collaborer à nouveau, ce processus ne présente que peu d’intérêt lorsque, à la suite d’une expulsion de l’investisseur étranger, ce dernier demande une indemnisation. Qu’y a-t-il alors à concéder ou à négocier ?

Plusieurs raisons pour ne pas utiliser la conciliation

Cette procédure de conciliation est délaissée pour plusieurs raisons. D’abord parce que les traités d’investissement ne prévoient pas cette phase de conciliation. D’autre part parce que le cadre est considéré comme trop lourd, avec l’obligation de désigner une commission de conciliation dans un délai imparti, un calendrier trop contraignant et des règles de procédure compliquées. Laurent Jaeger pointe un autre problème : pour bien des États parties à ce genre de différend, qui sont souvent en voie de développement, le processus décisionnel n’a pas la souplesse nécessaire pour permettre aux représentants de l'État de faire des concessions significatives, de surcroît dans des délais contraints.

Enfin, il est communément admis que si les parties souhaitent transiger, elles peuvent organiser des rencontres sans l’intervention du CIRDI et trouver un terrain d’entente avec ou sans conciliateur. Dans cette perspective la procédure de conciliation CIRDI est considérée comme vidant l’arbitrage de sa substance. Une sorte de « Canada Dry » de l’arbitrage, la célérité en plus et la force contraignante en moins, en quelque sorte.

Orrick-Rambaud Martel Véolia SEEG Société d’énergie et d’eau du Gabon CIRDI Laurent Jaeger