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La Chancellerie a engagé un toilettage du droit des sociétés commerciales

Par Olivia Dufour
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1393 du 15 avril 2019

Le projet de loi Pacte habilite le gouvernement à réorganiser le Code de commerce par ordonnance. Explications.

Et si l’heure était venue de séparer le droit des sociétés cotées des règles générales des sociétés commerciales pour lui consacrer un chapitre distinct dans le Code de commerce ? C’est en tout cas l’idée qui a jailli au sein du Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) il y a quelques mois et qui a inspiré un article du projet de loi Pacte habilitant le gouvernement à réformer le Code de commerce par voie d’ordonnance. à l’origine de cette démarche ? Le constat suivant lequel le titre II du Livre II du Code de commerce qui régit les sociétés commerciales est envahi par les dispositions spéciales dédiées aux sociétés cotées, ce qui le rend difficilement lisible. Il faut dire que la matière est très mouvante sous l’influence des directives européennes, mais aussi parce qu’elle porte des enjeux politiques forts, par exemple concernant la rémunération des dirigeants. « L’article L225-102-1 du Code de commerce, qui portait à l’origine sur la rémunération des mandataires sociaux et traite désormais des performances extra-financières, a été modifié 18 fois depuis son introduction en 2001. L’une de ses versions n’est demeurée en vigueur que du 8 au 19 août 2015 ! » remarque Eric Laut, associé du cabinet Bompoint.

Entreprise titanesque

Quant au droit des sociétés cotées, son imbrication dans les principes généraux et l’éparpillement des directives dont il est issu dans plusieurs textes (Code de commerce, CMF, RGAMF) compliquent singulièrement sa compréhension. Par exemple, les défenses anti-OPA sont situées dans le Code de commerce ainsi que la définition de l’action de concert en période d’offre, alors que le fondement des offres obligatoires figure dans le Code monétaire et financier, et que les principes gouvernant les offres ainsi que le déroulement des procédures sont contenus dans le Règlement général de l’AMF. « Deux solutions étaient envisageables, ouvrir un débat de fond sur les principes directeurs du droit des sociétés en vue d’élaborer nouveau un plan du Titre II du Livre II du Code de commerce, entreprise titanesque, ou, procéder à un travail de reclassement au sein du plan actuel, ajusté formellement aux dispositions qu’il a vocation à servir. Nous avons opté au sein du comité pour la seconde option » explique France Drummond, professeur à Paris II Panthéon-Assas et pilote du projet au HCJP.

Ces travaux ont donné lieu à la publication en mars 2018 d’un rapport qui propose de créer un chapitre dédié aux sociétés cotées comprenant : le nombre minimum d’actionnaires, la gouvernance des sociétés cotées, les assemblées générales, la modification du capital, le contrôle, la dissolution et les titres des sociétés cotées. Accessoirement, il est prévu de renvoyer dans le Code monétaire et financier le statut de l’intermédiaire inscrit (L. 228-1), les obligations de déclaration des franchissements de seuils (L. 233-7 et s.) et les dispositions concernant les offres publiques. Le projet a intéressé la Chancellerie et c’est ainsi qu’une disposition du projet de loi Pacte autorise le gouvernement à réaliser cette réorganisation par voie d’ordonnance. Mais le ministère a décidé de saisir l’occasion pour aller un peu plus loin. « Il existe une interrogation sur le champ d’application de certaines dispositions applicables aux sociétés cotées.  La Chancellerie a décidé de réaliser un travail de clarification et de nettoyage des textes aux fins de vérifier qu’il n’y a pas eu de sur-transposition de certains textes européens et que les obligations qui s’appliquent aujourd’hui aux sociétés dont les  « titres » sont cotés, n’auraient pas vocation à s’appliquer seulement aux sociétés dont les actions sont cotées ; y échapperaient alors les émetteurs qui n’ont que des obligations et autres titres de créance cotés » explique France Drummond.  En pratique, il s’agit de remplacer partout où c’est nécessaire les termes « sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé » par les termes « sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé ». « L’autre clarification devrait porter la plateforme de négociation déclenchant les obligations : certaines obligations s’imposent aux émetteurs et investisseurs dès lors que leurs titres sont admis aux négociations sur une plateforme, d’autres seulement lorsque cette plateforme est un marché réglementé » explique France Drummond.

Soigner les renvois

Du côté des praticiens, on salue la démarche. « Non seulement France Drummond a eu l’idée de cette simplification mais elle l’a réalisée, ce qui permet de se rendre compte du résultat. Incontestablement cela va simplifier la lecture du droit des sociétés non cotées » commente Eric Laut. Toutefois, l’exercice de réorganisation des textes au sein du Titre II devra être réalisé par la Chancellerie avec la plus grande attention, faute de quoi on risque, en résolvant des difficultés, d’en soulever de nouvelles. « Actuellement, si l’on recherche par exemple les règles applicables au quorum requis pour les assemblées générales d’actionnaires, on trouve au même endroit le régime général qui permet de modifier le quorum légal dans les statuts et le régime dérogatoire applicable aux seules sociétés cotées qui l’interdit. C’est une facilité de lecture directe qu’on va perdre, il serait donc souhaitable de procéder à un travail méticuleux de renvoi des textes spéciaux vers les textes généraux. Un tel travail éviterait les ambiguïtés en précisant à chaque fois à quels textes déroge la disposition spéciale applicable aux sociétés cotées » analyse l’avocat. Les travaux à la Chancellerie sont déjà très avancés, la réforme pourrait intervenir rapidement après l’adoption de la loi Pacte. 

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