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Faut-il sauver l’arbitrage d’investissement ?

Par Anne Portmann
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1346 du 16 avril 2018

À l’occasion de la deuxième édition de la Paris Arbitration Week (PAW), le Club des juristes et l’association « Paris, place d’arbitrage », ont organisé, à l’Hôtel de Ville, un colloque pour s’interroger sur l’avenir de l’arbitrage d’investissement, très décrié, et l’éventuelle mise en place d’une Cour internationale d’arbitrage, sur laquelle travaille la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI).

« Prendre le pouls de l’arbitrage d’investissement », c’est ce qu’a voulu faire Élie Kleiman, président de l’association « Paris, place d’arbitrage » avec ce colloque, invitant les intervenants aux débats à faire un « débat ouvert ».

Thomas Clay professeur à l’école de droit de la Sorbonne a souligné que l’arbitrage d’investissement était dans une « période paradoxale ». En effet, il ne s’est jamais aussi bien porté, mais n’a jamais été aussi décrié, notamment dans l’opinion publique. Il attribue cette méfiance à deux facteurs. D’une part, l’arbitrage d’investissement porte des enjeux étatiques, impliquant des fonds publics, ce qui devrait impliquer une grande rigueur et un contrôle. Dans ce contexte, l’absence de publicité du processus d’arbitrage paraît suspecte.

Thomas Clay estime que le régime de l’arbitrage d’investissement est, de ce point de vue, trop aligné sur celui de l’arbitrage commercial.

D’autre part, l’arbitrage d’investissement induit un présupposé de déséquilibre entre les parties, l’investisseur, souvent une entreprise multinationale, étant considéré comme ayant les moyens de contraindre les États, notamment lorsqu’il s’agit de pays en voie de développement.

À cet égard, Thomas Clay souligne le rôle néfaste des médias, pointant notamment le reportage diffusé le 16 novembre 2017 dans l’émission « Envoyé spécial » qui donnait selon lui « des informations volontairement falsifiées ». L’arbitrage d’investissement connaît des maux qu’il ne s’agit donc pas de nier, mais il considère qu’il ne faut cependant pas renoncer à cette procédure, qui, si elle n’est pas la solution idéale, reste cependant la moins mauvaise. Si la réalité des chiffres tord le cou à l’idée selon laquelle les procédures d’arbitrage favorisent majoritairement les investisseurs*, il reste des problèmes objectifs liés au consentement à l’arbitrage, et à la concentration des affaires entre les mains de quelques arbitres. Le professeur plaide en outre pour réfléchir à un moyen de condamner les investisseurs déboutés afin de décourager les abus et les actions dilatoires.

Méfiance des politiques

Matthias Fekl, avocat associé chez KGA, et ancien ministre du gouvernement sous François Hollande, a partagé son expérience politique et a notamment souligné la défiance des sénateurs contre l’arbitrage, toutes couleurs politiques confondues, lors des négociations des traités d’arbitrage avec le Canada et les États-Unis, contre l’Investor-state dispute settlement (ISDS) contenu dans le CETA.

« Cette méfiance existe même au Pays-Bas qui est pourtant la patrie de l’arbitrage » a-t-il lancé, soulignant le problème de la concentration des arbitres et pointant aussi la possibilité de conflits d’intérêts, la plupart d’entre eux étant également avocats.

« Aucun système judiciaire ne peut survivre si les citoyens s’en méfient », a enchaîné André Von Walter, de la Commission européenne, appelant à la multilatéralité, puisqu’en la matière, les traités bilatéraux ne suffisent plus. Lui aussi dresse la liste des difficultés essentielles présentées par l’investissement d’arbitrage : absence de jurisprudence constante et cohérente, donc de prévisibilité, absence de mécanisme de révision des sentences arbitrales.

Il a expliqué qu’un mécanisme multilatéral pourrait être mis en place dans le cadre de la CNUDCI.

Anna Joubin-Bret, directrice de la division du droit commercial au sein de cet organisme onusien a, en effet, expliqué qu’un groupe de travail avait été mis en place, dans le cadre d’un mandat progressif. « Nous devons d’abord identifier les préoccupations liées à l’arbitrage d’investissement, puis déterminer si une réforme est souhaitable et enfin, recommander des solutions à la Commission ».

L’intervenante explique que pour le moment, les États ont des positions divisées. Un premier groupe (essentiellement des États d’Amérique Latine) est favorable à une réforme, mais a minima, en conservant le système des traités bilatéraux, d’autres pays rejettent en bloc, et par principe le recours à l’arbitrage d’investissement, lui préférant d’autres modes de règlement des différends (le Brésil et l’Afrique du Sud). Les pays de l’Union Européenne et le Canada, rejoints par d’autres pays, sont convaincus d’une réforme en profondeur, et d’autres États, comme l’Inde et la Chine restent indécis. Les États-Unis, s’ils ont déclaré qu’ils étaient contre la mise en place d’une Cour permanente d’arbitrage, n’ont pas fait connaître leur position. Anne Joubin-Bret a précisé que l’ensemble des débats du groupe de travail pouvait être consulté sur le site de la CNUDCI.

Au cours d’une table ronde qui a suivi le débat et au cours de laquelle le public a pu poser des questions aux praticiens, Thomas Clay a clairement exprimé son hostilité à la mise en place d’une Cour permanente de l’arbitrage : « L’âme de l’arbitrage, c’est le choix de l’arbitre. Si on ne le choisit pas, et s’il est désigné par avance, ce n’est plus un arbitre ». Une remarque qu’André Von Walter a relativisée : « C’est assez proche de ce que proposent certains systèmes mis en place par les États-Unis », a-t-il souligné.

*Selon les chiffres rapportés par Thomas Clay, en 2016, il y a eu 767 demandes d’arbitrage et 495 d’entre elles ont été examinées. Quelque 36 % des sentences ont donné raison à l’État défendeur, 27 % aux investisseurs et 25 % se sont soldées par des transactions.

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