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Extraterritorialité des sanctions américaines, les sénateurs attendent des réponses

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1369 du 22 octobre 2018
Par Jeanne Disset

À la suite du rapport d’information du sénateur Philippe Bonnecarrère « l’extraterritorialité des sanctions américaines : quelles réponses de l’Union européenne ? », la commission des affaires européennes du Sénat a adopté une résolution sur les moyens de contrer l’effet extraterritorial des sanctions économiques. Les sénateurs demandent plus de réponses, mais des réponses financières et politiques.

Le rapport et la résolution soulignent combien les options formulées au niveau européen sont « inopérantes », tout comme les recours à l’OMC ne seraient « pas une option réaliste ».

Pourtant, le règlement de blocage de 1996 (Règlement CE n° 2271/96), né en réaction aux embargos contre Cuba, l’Iran et la Lybie (lois Helms-Burton et D’amato- Kennedy), est un instrument de la souveraineté européenne qui bloque les effets ici, en Europe. Par exemple, « en n’exequaturant pas les décisions américaines, on protège les acteurs économiques ». Largement évoqué, ce texte est sévèrement jugé par les Sénateurs : « Bonne réponse politique, mauvaise réponse économique », « efficace pour les PME sans besoin de dollars et sans intérêt pour le marché américain, mais pas du tout adapté pour le CAC 40 ou les banques » Les sénateurs restent en retrait sur une réactivation de ce texte. Ils pensent surtout que la situation politique autour du Règlement de 1996 était très différente, le multilatéralisme des États-Unis existant encore. Pourtant, l’UE travaille cette piste notamment pour rendre plus opérant son article 6 relatif aux mécanismes d’indemnisation ou de récupération pour les acteurs sanctionnés.

Que peut-on faire ?

1. La mise en place d’une plateforme comptable autonome pour comptabiliser les échanges commerciaux avec l’Iran, sans recourir au dollar ni aux canaux financiers américains. L’entité n’est pas une banque, mais regroupe plusieurs États volontaires. L’Iran vend par exemple du pétrole à la Chine ou à l’Inde, la transaction est portée à son crédit, et quand l’acheteur chinois ou indien achète un produit européen pour l’Iran, c’est déduit. Un jeu de + et de – sans dollar. « C’est assez rustique, mais robuste » souligne le rapporteur « et la République de Venise a déjà fait fonctionner un tel mécanisme ». De plus, ce système pourrait concerner des pays nouveaux ou ceux déjà soumis à sanction comme la Russie. Il permettrait d’étendre la diplomatie européenne en incluant des pays non européens, comme la Chine et l’Inde, grands acheteurs de l’Iran et qui cherchent aussi des solutions. Une solution qui apporte de l’eau au moulin de Federica Mogherini, la cheffe de la diplomatie de l’UE, qui, le 25 septembre dernier, avait présenté « une bourse d’échange ou un système de troc sophistiqué ».

2. La préservation d’un « canal humanitaire » permettant de poursuivre les échanges dans les secteurs non soumis aux sanctions. Au-delà de l’aspect technique de maintenir ouverte une ligne dans le système Swift, garantissant rapidité, sécurité, confidentialité et inviolabilité des opérations financières, il faut bien qu’une banque iranienne reste connectée au réseau mondial pour les opérations hors du périmètre des sanctions, celles concernant les besoins humains de base comme la nourriture, la santé… L’Europe a en effet beaucoup à gagner dans ces secteurs de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la pharmacie.

Deux points intéressant car concrets, permettant aux acteurs de se prémunir des effets les plus délétères, mais pas forcément de lutter contre l’extraterritorialité exorbitante de l’Amérique de Trump. Puis viennent deux points très hypothétiques car de long terme et très dépendant des volontés politiques des États membres.

3. Le renforcement « à terme » de la place de l’euro dans les règlements internationaux. 20 % des échanges internationaux aujourd’hui sont en euros.

4. Une place au cœur des échanges internationaux, au niveau des forums type G7 et G20 et dans les discussions bilatérales avec les Américains.

Le rapporteur a exclu d’autres pistes comme le contournement par le recours à des banques peu dépendantes du système financier mondialisé et dollarisé (certaines banques allemandes ou du Golfe). La lecture du rapport indique que les sénateurs ne cherchent pas à lutter contre l’extraterritorialité américaine en soi, mais plutôt à contribuer à neutraliser cette pratique juridique pour les acteurs économiques. Très préoccupés d’économie, les sénateurs n’abordent le droit que comme accessoire. Ce qui laisse dans un angle mort toute une part de la boîte à outils américaine pour mener une guerre économique : en plus du commerce et de la finance, le droit, la politique, ou même la morale. Constat d’un droit financier entièrement de common law, et qu‘« on fait du droit américain quand ici à Paris on a des actionnaires, des administrateurs, des intérêts, des marchés américains », point. Autre exemple, l’arsenal complexe et varié de la réglementation anti-corruption largement utilisés dans la guerre commerciale. Ces questions semblent annexes pour ne pas dire accessoires au système d’extraterritorialité. Ce sont pourtant bien toutes ces pressions économiques, quelle que soient leur justification (corruption, boycott…) qui conduisent à la compliance voire à la sur conformité. Mais c’est une autre histoire, le rapporteur et le président ont promis d’y revenir.

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