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Décision lino : « L’Autorité de la concurrence considère désormais que les entreprises doivent toutes être dotées de programme de conformité »

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d’Affaires, N° 1323 du 30/10/2017

L’Autorité de la concurrence a sanctionné la semaine dernière plusieurs fabricants de revêtements de sols résilients ainsi que le syndicat des professionnels du secteur pour ententes illicites. Malgré les demandes de clémence et les recours à la procédure de transaction, les amendes prononcées atteignent un montant total de 302 millions d’euros. Une décision qui démontre un changement de méthode d’analyse par l’Autorité. Explications de Frédéric Puel, associé de Fidal.

Dans son communiqué de presse, l’Autorité de la concurrence a précisé les critères pris en compte pour le calcul du montant des amendes : la gravité des pratiques, leur durée, les demandes de clémence présentées et le recours à la procédure de transaction. Ce faisceau d’indices est-il classique ?

Frédéric Puel : L’Autorité de la concurrence donne à mon sens très peu d’indices sur le calcul du montant de la sanction dans cette décision. Elle indique qu’une procédure de clémence a été signée avec les entreprises Tarkett et Forbo et que l’ensemble des participants à l’entente a eu recours à la nouvelle procédure de transaction issue de la loi Macron (anciennement dénommée procédure de non contestation des griefs). Mais rien n’est précisé de plus s’agissant des pourcentages de réduction d’amendes. S’agit-il de clémences de type 1B ou de type 2 ? Quelle réduction ont obtenu les entités ayant eu recours à la procédure de transaction ? Je rappelle qu’avant la réforme du 6 août 2015, les entreprises qui signaient une non-contestation des griefs sèche voyaient leur amende réduite de 10 %. Les conseils négociaient ensuite avec les services d’instruction de l’Autorité pour valoriser les engagements pris et, dans le meilleur des cas, l’entreprise pouvait obtenir une réduction additionnelle de 15 %, soit au total 25 % de baisse du montant de la sanction. Dans cette décision, l’Autorité confirme sa récente position de ne pas détailler les pourcentages de réduction qu’elle octroie dans le cadre de la transaction.

Qu’en est-il des engagements pris ?


Frédéric Puel : Sur ce point-là, l’Autorité de la concurrence est bien plus claire et assume un revirement de sa position. Jusqu’à présent, dans le cadre de la procédure de non-contestation des griefs, l’entreprise qui s’engageait à mettre en place un programme de conformité pouvait se voir accorder une réduction de la sanction encourue, conformément à son communiqué « sanctions » du 16 mai 2011. Or dans cette décision « lino », l’Autorité précise que de tels programmes font désormais partie « de la gestion courante de l’entreprise » et « n’ont par suite, pas vocation, de façon générale, à justifier une atténuation des sanctions encourues au titre des infractions au droit de la concurrence, tout spécialement s’agissant d’infractions d’une particulière gravité telles que les ententes et échanges d’informations sur les prix futurs et la politique commerciale » (point 464 de la décision). J’ajoute qu’en parallèle de la publication de cette décision, l’Autorité de la concurrence a modifié son communiqué « sanctions » et a retiré de son site le document-cadre du 10 février 2012 sur les programmes de conformité et le communiqué de procédure relatif à la non-contestation des griefs.


Que doit-on en conclure ?

Frédéric Puel : S’agissant de ce dernier communiqué, il semblait en effet logique d’abroger les indications de mise en oeuvre d’une procédure qui n’existe plus. Dans son communiqué de procédure du 19 octobre 2017, l’Autorité annonce qu’un nouveau communiqué de procédure relatif à la transaction sera bientôt publié. D’ici là, les entreprises demeurent dans le flou.

Quant aux programmes de conformité, l’Autorité considère désormais que les entreprises doivent toutes en être dotées. Elle met ainsi un terme à la tentation que pouvaient avoir certains groupes d’attendre de négocier une réduction d’amende avant d’organiser une politique de conformité interne sérieuse. Elle s’inscrit par ailleurs dans la logique de la loi Sapin 2 qui impose aux entreprises d’une certaine taille, depuis juin dernier, la mise en place d’un système de détection et de prévention de la corruption.


L’Autorité de la concurrence refuse-t-elle ainsi de se faire l’auditeur de la qualité des programmes de conformité mis en place ?

Frédéric Puel : En affirmant que les programmes de conformité doivent « s’insérer dans la gestion courante des entreprises », l’Autorité estime que ceux-ci sont une pierre angulaire de la culture de concurrence qu’elle attend des entreprises. Dans son communiqué du 19 octobre dernier, elle indique qu’elle va continuer d’analyser les programmes de conformité des entreprises et donner sa position sur leur efficacité. En cela, il va falloir attendre que l’Autorité se prononce, au fil de sa pratique décisionnelle, sur les éléments qu’elle estimera opportun de trouver dans un programme de conformité, en fonction d’éléments de faits, de marchés, etc. Par ailleurs, on constate que l’Autorité aligne son analyse sur celle de la Commission européenne qui ne tient pas compte des programmes de compliance, ainsi que cela se comprend de la lecture de son document « compliance matters » du 23 novembre 2011. L’Autorité française s’était clairement inscrite dans une position différente à compter de 2012 et a d’ailleurs beaucoup communiqué sur l’importance d’avoir une politique interne de conformité efficace. Elle passe désormais à une autre étape.

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