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Coopérer avec le régulateur, mode d’emploi

Par Anne Portmann
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1367 - 08 octobre 2018

À une journée d’intervalle, les 2 et 3 octobre derniers, l’Autorité de la concurrence (ADLC) et la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) ont tenu leurs colloques respectifs, qui ont tous les deux abordé la question de la coopération des personnes visées avec les enquêteurs ou les contrôleurs. Tour d’horizon.

Anne Wachsmann, associée chez Linklaters, qui intervenait au colloque de l’ADLC, sur la nouvelle procédure de transaction introduite par la loi Macron devant cette Autorité, l’a dit avec humour : « Lors des discussions avec les rapporteurs de l’ADLC, après la notification des griefs, certains mots sont tabous. Ainsi, prononcer le mot de « négociation » conduit à coup sûr à un incident de séance, et le mot « concession » ne fait pas partie du vocabulaire des services d’instruction du régulateur ». C’est dire si le sujet est sensible et le vocabulaire choisi.

Le contraste est d’ailleurs frappant avec les procédures existantes en matière financière. Muriel Goldberg-Darmon, associée de Cohen & Gresser, intervenante au colloque de l’AMF, a souligné qu’en Angleterre et aux États-Unis, en cas de coopération avec le régulateur, la sanction pouvait être négociée. Andrew Cotterell, de la Financial Conduct Authority (FCA), équivalent britannique de l’AMF, a en effet confirmé qu’en cas de collaboration active avec le régulateur, les entreprises visées par une enquête ou un contrôle pouvaient obtenir jusqu’à 30 % de réduction sur les pénalités encourues. Les choses ne sont pas si claires en France, où le pouvoir d’appréciation de la sanction par le régulateur financier reste encore discrétionnaire. « On sait ce que l’on perd à ne pas collaborer à l’AMF, mais on ne sait pas ce que l’on gagne ! » a résumé Muriel Goldberg-Darmon. Nicolas Guérin, secrétaire général d’Orange et président du Cercle Montesquieu a estimé que si la transaction offrait une bonne visibilité en ce qui concernait la fourchette des sanctions financières encourues devant l’ADLC, des incertitudes existaient concernant les injonctions que pouvait prononcer le collège.

À l’AMF, le droit au silence et le degré de collaboration

Au 11e colloque de la commission des sanctions de l’AMF, les débats ont tourné autour du comportement attendu de la part des entreprises objets de l’enquête ou du contrôle. Benoît de Juvigny a d’ailleurs souligné que les attentes du régulateur n’étaient pas les mêmes en cas d’enquête et de contrôle, cette opération portant sur des entités régulées qui, de par leur statut, devraient coopérer de façon plus active que les autres. Force est de constater que les textes abordent la question par le côté négatif, envisageant seulement les conséquences du refus de collaborer, qui est, lui, sanctionné. Muriel Goldberg-Darmon rappelle dans ce cadre que le droit de ne pas s’auto-incriminer, qui découle du droit au procès équitable, est applicable au stade de l’enquête, « mais les enquêteurs ne sont pas obligés de notifier le droit au silence », rappelle l’associée, qui trouve cela « assez étonnant ». Benoît de Juvigny confirme quant à lui « qu’il vaut mieux se rendre à une convocation des enquêteurs et se taire que de ne pas venir du tout ». Le constat, parmi les intervenants est cependant unanime autour de la moindre prise en compte de la collaboration que de l’absence de coopération. « Le rapport communiqué à la commission des sanctions n’a aucune obligation de mentionner que l’entreprise a coopéré, alors que si elle a entravé les opérations, cela doit y figurer », explique Muriel Goldberg-Darmon. Jean Gaeremynck, conseiller d’État et membre de la commission des sanctions a confirmé la dissymétrie évidente entre la prise en compte de la coopération et celle de son absence, ajoutant que le problème du « degré de coopération », rarement connu de la commission, se posait aussi.

À l’ADLC, le droit au recours

À l’ADLC, les discussions se sont centrées sur quelques points sensibles, comme l’impossibilité de contester les griefs notifiés par le régulateur. « Il y a un côté binaire, la liste des griefs est indivisible, c’est à prendre ou à laisser », a regretté Nicolas Guérin. Les intervenants ont également abordé la question des demandes indemnitaires qui pouvaient suivre la conclusion d’un accord avec l’ADLC, en constante augmentation, tant en volume qu’en montant. « Il se peut que l’on réclame jusqu’à 10 fois plus que le montant sur lequel on a transigé avec l’autorité », note Nicolas Guérin. Un autre point a également fait l’objet de vives discussions : celui de l’éventuel recours formé contre l’acte ainsi conclu. Pour Irène Luc, présidente de chambre à la cour d’appel de Paris, la décision est insusceptible de recours sur le constat d’infraction, bien qu’un recours sur le montant des amendes infligées soit envisageable. Muriel Chagny, professeur de droit à l’université de Saint-Quentin-en-Yvelines considère au contraire, qu’au regard de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des principes processuels français, l’entreprise devrait conserver son droit au recours sur le tout. «  l’Autorité garde son pouvoir d’appréciation, c’est donc une décision et non un contrat », souligne-t-elle.

Andrew Cotterell, le représentant du régulateur financier britannique, pragmatique, à quant à lui résumé l’attitude des anglais au colloque de l’AMF : « Nous attendons une coopération raisonnable, nous récompensons la coopération exceptionnelle et nous sanctionnons l’absence de coopération ». 

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