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Avocats : concilier vie privée et professionnelle

Par Aurélia Granel

Le rythme habituel de travail des avocats d’affaires est pour le moins intense. Mais aujourd’hui, la nouvelle génération de collaborateurs n’est plus prête à sacrifier sa vie personnelle pour les besoins du cabinet. Particulièrement quand des enfants sont nés. Avant le début de la crise sanitaire, comment les cabinets se sont-ils organisés pour permettre à leurs équipes de concilier les deux ?

«Certains confrères m’ont dit qu’il était hors de question d’instaurer le télétravail dans leur cabinet car ils n’avaient pas envie que leurs collaborateurs vaquent à leurs occupations personnelles, continuent leur week-end le lundi, ou s’occupent de leurs enfants le mercredi », indiquait Karine Clolus-Dupont, associée du cabinet EBL Lexington Avocats, juste avant le début de la crise du Covid-19 forçant tout le monde à exercer de chez soi. Fort heureusement, ce genre d’abus est exceptionnel. Il est quand même légitime de déclarer que le télétravail constitue sans doute le meilleur moyen de concilier sa vie privée et professionnelle lorsque l’on est pères et mères de famille. Si ces dernières opteront parfois pour le home office dans la mesure où elles sont souvent attendues pour 19/20 heures à la maison et reprendront souvent le travail une fois que les enfants sont couchés, il semblerait que le mouvement se soit étendu aux jeunes pères. Par exemple, chez EBL Lexington Avocats, un collaborateur exerçant au sein du département Corporate part très régulièrement à 18 heures pour aller chercher son enfant à la crèche. « De nombreux cabinets, notamment dans cette matière, ne l’accepteraient pas, souligne Karine Clolus-Dupont. Le home office lui permet de reprendre le travail une fois que ses enfants sont couchés ». Mère de famille, Delphine Siino Courtin, associée de Clifford Chance, n’hésite pas à rentrer plus tôt et à travailler à distance. Raphaëlle d’Ornano, fondatrice du cabinet de due diligence juridique et financière d’Ornano & Associés, tient quant à elle à aller chercher fils ainé à l’école à 16 heures le vendredi, pour bénéficier d’un moment d’échange privilégié. À l’inverse, elle n’hésite pas à travailler soirs et week-ends lorsque ses enfants sont couchés. « J’ai voulu instaurer, au sein du cabinet, une culture de bien-être avec des gens heureux, autonomes et responsables, car le travail ne doit pas être perçu comme une souffrance mais comme un moyen d’épanouissement, explique-t-elle. Mes collaborateurs sont libres de leurs mouvements à partir du moment où les travaux sortent en temps et en heures, avec le niveau d’exigence qui est demandé ». Et l’associée fondatrice de poursuivre : « Je m’applique les règles que j’applique aux collaborateurs : le client sera toujours prioritaire en cas d’urgence, peu importe l’heure ou le lieu où je me situe ». Quant à CastaldiPartners, le cabinet a vécu sa première expérience de télétravail il y a deux ans, pour les nécessités d’une collaboratrice avec une grossesse difficile. « Les avocats font des sacrifices sur leur vie personnelle en permanence, souligne Delphine Siino Courtin. En échange, il est important de préserver une certaine flexibilité, d’autant plus que les moyens techniques nous permettent aujourd’hui d’exercer notre métier de n’importe où et de bénéficier d’une connexion constante. La flexibilité qu’ils peuvent avoir, pour assister au spectacle de fin d’année de leurs enfants par exemple, se ressentira sur la qualité de leur travail et leur bien-être ». Les collaborateurs se sentent soutenus et encouragés et le cabinet n’en pâtit pas. Le télétravail serait-il la solution miracle ?

Un retour en douceur

Mais le home office est-il vraiment une nouveauté, alors que la mobilité est en quelque sorte inhérente à ce métier ? Les avocats ont toujours eu de nombreux rendez-vous clients à l’extérieur, audiences et expertises. Bien avant la généralisation du télétravail, ils n’hésitaient pas à s’épargner des allers-retours inutiles. Chez CastaldiPartners par exemple, de nombreux associés et collaborateurs exercent entre Paris et Milan. Ils sont donc dans un esprit de mobilité bien ancré en raison de la position géographique du cabinet. Dans ce métier extrêmement prenant, où l’on ne décroche finalement jamais, chaque minute gagnée pour rester auprès de ses enfants n’est pas négligeable. Par ailleurs, même si le home office est encore plus démocratisé aux États-Unis et au Royaume-Uni qu’en France, quelques cabinets ont décidé d’aller encore plus loin pour aider les avocats à concilier leur vie privée et professionnelle. Depuis le mois de juillet 2019, Foley Hoag fait désormais bénéficier ses collaborateurs américains et français d’un congé rémunéré de 18 semaines en cas de naissance ou d’adoption. Au Royaume-Uni, Linklaters a instauré 52 semaines de congé de maternité/d’adoption et deux semaines de congé paternité depuis septembre 2018, contre 12 semaines de congé paternité chez Allen & Overy depuis le 1er mars dernier. Des mesures qui sont plus favorables que celles du Conseil de l’Ordre du barreau de Paris qui a instauré un congé maternité de 16 semaines, comme pour les salariées, et qui a voté, en 2014, l’extension de la durée du congé paternité des avocats libéraux de 11 jours consécutifs à 4 semaines. En France, les avocats prennent-ils vraiment l’intégralité de leur congé paternité ? Certaines firmes avoueront que non… Pourtant, au sein du bureau parisien d’Allen & Overy, neuf collaborateurs ont déjà pris l’intégralité de leur congé paternité depuis l’annonce de la nouvelle politique en juin 2019. Pour un retour en douceur, le cabinet a même instauré une période de transition pour les pères et mères de retour au travail : « Pour les jeunes pères, quatre semaines sont déduites du ratio des heures que les avocats sont tenus de facturer sur une année, souligne Hervé Ekué, managing partner du cabinet. De la même manière, quelques semaines sont défalquées avant et après le congé maternité des collaboratrices ». Il en est de même au sein du cabinet Reed Smith : « Quand on est parti plusieurs mois, il est difficile de se remettre dans le bain, reconnaît Natasha Tardif, co-managing partner. Nous instaurons une période de transition pour les avocats de retour de congé maternité ou maladie en diminuant leurs objectifs de plus de la moitié pendant une année et en les rétablissant de façon progressive, parce que nous souhaitons accompagner nos talents dans toutes les étapes de leur vie et qu’ils soient soutenus et épanouis ». Enfin, au sein du bureau londonien de Baker McKenzie, Helen Brown et Julia Hemmings, deux associées responsables de la pratique Retail and Consumer, font un job-share depuis 2013, pour s’occuper de leurs enfants. La première travaille les mardi, mercredi et jeudi, tant que la seconde est présente le lundi, jeudi et vendredi. La clé du succès de ce partage de clients ? Les deux associées sont en copie de tous les mails.

Notes

Pour aller plus loin, lire notre article dans le magazine LJA n° 65 : https://www.lja.fr/lja-mag/eclairage/home-office-the-new-way-of-working-des-avocats-549313.php

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