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À quoi ressemblera l’avocat de demain ?

Par Ondine Delaunay
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1365 - du 24 septembre 2018

Stanislas van Wassenhove, associé au sein du cabinet belge Taquet Clesse & Van Eeckhoutte, est fondateur du cycle de conférences annuelles « Électrochoc du numérique ». La prochaine édition aura lieu à Bruxelles, le 13 décembre prochain sur le thème « Le partenariat et la notation ». Avec Jérôme Rusak, associé de Day One et auteur de l’étude intitulée « Le cabinet d’avocats d’affaires du futur », ils tentent de définir les contours de l’avocat de demain.

Demain, l’avocat devra-t-il avoir développé de nouvelles compétences ?

Stanislas van Wassenhove : Il a déjà bien évolué en tombant de son piédestal. Auparavant, il avait le monopole de la connaissance du droit. Aujourd’hui, c’est Google qui l’a. Demain, l’avocat devra assurément être « augmenté ». Il devra utiliser des outils numériques pour améliorer sa capacité de réactivité. L’un des plus grands défis de l’avocat dans les prochaines années sera la gestion de son temps. Il aura à gérer toujours plus de données juridiques dans un temps de plus en plus court, pour s’aligner sur la vitesse et les attentes de son client. Bien sûr le numérique lui donnera l’opportunité de se concentrer sur la valeur ajoutée de son métier en lui permettant de supprimer les tâches répétitives. Mais c’est aussi sa capacité à travailler dans une organisation globale qui sera motrice. Car l’avocat de demain sera résolument « collaboratif », c’est à dire qu’il devra apprendre à partager et à exercer en parfaite transversalité avec d’autres équipes ou d’autres métiers. Or ce n’est pas dans ses acquis, il a été formé à l’indépendance, à l’individualisme.

Jérôme Rusak : La transformation des méthodes de travail s’opérera autour de trois notions : la Valeur, la Technologie et le Collaboratif.

Assurément, le travail collaboratif sera la prochaine révolution du monde du droit. Elle passera par le développement de la gestion de projets juridiques. Chaque opération financière ou corporate est un projet juridique en lui-même et implique des compétences de transversalité pour l’avocat. Dans un monde des affaires internationalisé, l’avocat doit s’organiser pour travailler avec d’autres bureaux, d’autres confrères spécialisés, voire d’autres métiers. Et celui qui saura gérer cette organisation collective, sera le plus efficace pour faire aboutir le projet.

Comment devra-t-il organiser son travail ?

Stanislas van Wassenhove : L’avocat travaillera dans un environnement modifié. À l’intérieur de son cabinet, tout d’abord, il exercera avec des métiers différents du sien. Je pense par exemple à des informaticiens, ou à des économistes ou encore des spécialistes en marketing et business development. Ce sont des fonctions qui sont de plus en plus recherchées par les structures professionnelles.

Jérôme Rusak : D’autres fonctions voient également le jour en cabinet qui ne sont pas forcément des avocats, mais d’autres professionnels qui connaissent la matière juridique. Je pense par exemple à l’analyste de données juridiques qui traite les extractions de bases de données juridiques voire du Big Data juridique et les étudie pour produire des recommandations. Il existe également désormais des legal project manager, qui supervisent les projets juridiques des cabinets, harmonisent les outils et les offres pour présenter une prestation personnalisée aux clients. Aux États-Unis, est apparue depuis quelques années la fonction de pricing manager chargée d’optimiser les ressources nécessaires et la composition de l’équipe pour proposer le meilleur prix. Certains cabinets anglo-saxons commencent également à nommer des chefs de projets chargés de coordonner les bureaux du réseau pour travailler en commun sur un dossier ou un projet crossboarder.

Stanislas van Wassenhove : Le cabinet devra également s’organiser pour travailler en partenariat avec d’autres acteurs, d’autres métiers, extérieurs à la structure d’exercice. On pense par exemple à des cabinets de CPI, des conseils financiers ou à des études de notaires. Sa capacité d’ouverture lui permettra d’accéder à de nouveaux marchés et de proposer aux clients une plus-value indéniable. Le changement est inéluctable, le cabinet n’aura pas d’autres choix que de s’organiser autrement.

Jérôme Rusak : En France, des partenariats avec des structures d’avocats pour des besoins spécifiques sur des dossiers ont déjà été organisés par certains. Avec « Droits croisés », Arsene avait mis en place il y a déjà près de 10 ans des réflexions communes avec d’autres cabinets de niche comme La Garanderie Avocats en social, Savin Martinet en environnement ou Feral-Schuhl Sainte Marie en IP/IT.

Aujourd’hui, Frieh & Associés cherche à son tour à mettre en place ce qui est appelé « une structure en étoile » dans laquelle l’équipe corporate travaille en collaboration totale avec d’autres cabinets experts sur des problématiques spécifiques. Ces partenariats correspondent au développement de la gestion de projets juridiques que nous évoquions à l’instant.

Ces changements passeront-ils par une nouvelle organisation de l’espace de travail ?

Stanislas van Wassenhove : Les espaces de travail sont en effet conduits à être bouleversés. Le modèle actuel consistant à avoir un bureau par avocat ne sera plus envisageable dans une organisation collaborative d’exercice. Certains cabinets ont déjà mis en place des open spaces pour les collaborateurs et les associés. Mais demain, l’avocat sera résolument nomade. Je suis mandaté par Avocats.be (le CNB belge francophone) pour rendre un rapport, prévu pour le début du mois de novembre, sur le développement des espaces de coworking pour les avocats. On pourrait parfaitement imaginer des immeubles de travail multiprofessionnels, avec des zones dédiées aux avocats. Ce serait finalement une solution pour permettre à ceux qui exercent seuls de retrouver une ambiance collective de travail. Mais aussi un atout pour mettre en place des projets communs. Et au final, les cabinets seraient gagnants car ils réduiraient leurs coûts d’installation et seraient accompagnés dans la dynamique digitale.

Jérôme Rusak : Je doute néanmoins que les cabinets d’affaires installés dans le triangle d’or abandonnent leur adresse ! Il en va de l’image de la firme à l’égard du client ! En revanche, je suis totalement d’accord sur la réorganisation de l’espace de travail. La dématérialisation des échanges permettra plus de home working, les avocats se retrouvant au cabinet dans une optique collective, autour d’un projet, d’un dossier. Ajoutons également l’évolution des services au sein même de l’espace du cabinet à destination des collaborateurs. Mayer Brown a installé une cantine dans un cadre encourageant au partage et au bien-être. DS Avocats avait repensé l’organisation de ses locaux pour davantage de convivialité pour l’accueil des clients ou des collaborateurs. D’autres firmes ont organisé de nouveaux services comme une conciergerie, ou des séances de sport collectives.

Qu’en est-il de l’utilisation des legaltech par les cabinets ?

Jérôme Rusak : Les cabinets hésitent encore. Certains ont noué des partenariats avec des legaltechs comme le cabinet Chatain & Associés avec Predictice, une plateforme de recherche et d’analyse juridique qui permet de calculer les probabilités de résolution d’un litige. Duteil Avocats a pour sa part noué un partenariat avec Legalstart pour la mise à jour de ses modèles d’actes dans le domaine du droit des sociétés. D’autres développent des legaltechs en interne, comme Allen & Overy qui a un incubé à Londres un espace d’innovation technologique appelé « Fuse  ». Enfin, certaines firmes ont intégré l’intelligence artificielle à leur chaîne de production. DLA Piper a ainsi noué un partenariat avec Kira Systems dans le cadre de la mise en place d’un outil d’analyse et de revue des contrats juridiques pour les procédures de fusions-acquisitions.

Stanislas van Wassenhove : Les avocats disposent des outils de production pour pouvoir innover et répondre aux attentes de leurs clients. Car ceux-ci s’étant largement professionnalisés, ils attendent de leurs conseils une approche pointue techniquement et des compétences pédagogiques. L’avocat doit être capable de démontrer sa valeur ajoutée et de justifier son prix. Exactement comme le fait un directeur juridique auprès de son directeur général. Il va devoir améliorer ses outils digitaux de communication. Le client attend une réactivité en termes d’information, similaire à celle qu’il reçoit de sa banque online.

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