De l’avenir procédural des litiges en série
Mercredi 10 décembre 2025, le Club des juristes a présenté, à la Maison de l’Amérique latine, le rapport élaboré par le groupe de travail présidé par la professeure Soraya Amrani- Mekki sur le traitement rationnel des litiges sériels, qui formule 22 propositions pour le traitement des actions de groupe et des actions collectives.
Ce rapport est d’abord le fruit d’une réflexion sur l’échec de l’introduction en droit français de l’action de groupe, en 2014. Et même si la loi DDADUE du 30 avril 2025, qui transpose la directive européenne sur le sujet a quelque peu « revitalisé » le mécanisme, les praticiens se sont rapidement rendus compte que ce serait insuffisant pour répondre aux attentes des justiciables. C’est donc en raison de l’encadrement, un peu assoupli, mais tout de même très contraint, de l’action de groupe que s’est développée en parallèle la pratique des actions regroupées ou actions collectives, qui ne sont pas réglementées et obéissent au régime procédural de droit commun. Le rapport insiste donc sur la distinction entre les actions de groupe au sens de la loi, la pluralité d’actions regroupées au sein d’une même instance et la pluralité d’instances qui relèvent de la même affaire.
Ne pas déréglementer l’action de groupe
Pour Maria José Azar-Baud, fondatrice de l’Observatoire des actions de groupe et des autres actions collectives et membre du groupe de travail, la limitation des acteurs autorisés à agir dans le cadre des actions de groupe est la raison principale de l’insuccès de cette procédure. Même si la loi DDADUE a un peu assoupli les règles, notamment en faveur d’acteurs à l’échelle de l’Union européenne, les actions en réparation sont toujours réservées, en France, à des acteurs spécifiques, notamment les associations agréées de consommateurs. Il n’y a pas eu d’ouverture aux avocats. Les membres de la commission s’en félicitent, craignant des dérives telles que celles observées dans d’autres pays, comme la constitution d’associations ad hoc, mais estiment néanmoins souhaitable que le Défenseur des Droits et le Ministère public, puissent agir à ce titre.
Par ailleurs, se pose la question de la notion de « similarité » des cas individuels, qui n’est pas définie par la loi et sur laquelle la jurisprudence est encore tâtonnante. Le groupe de travail préconise l’élaboration d’un vademecum sur ce sujet. Des questions se posent également sur l’opportunité de maintenir le système actuel d’opt in et sur l’abandon de la procédure simplifiée.
L’importance du tiers financement
La Club des juristes, qui avait déjà consacré un rapport au tiers financement, s’est à nouveau penché sur la question dans le cadre de ce groupe de travail. Martin Le Touzé, associé de HSF Kramer rappelle que le financement permet d’assurer la viabilité de ce type d’actions, mais qu’il reste très peu encadré. La loi de 2025 pose quelques règles minimes, mais qui ne concernent pas les actions collectives autres que les actions de groupe au sens de la loi. Il est donc urgent, selon l’avocat, de poser certains principes fondamentaux, afin de garantir la conduite de l’instance par le dominus litis et éviter les conflits d’intérêts. Le rapport propose dès lors la publication obligatoire in extenso des accords de tiers financement et le plafonnement de la rémunération du tiers financeur à un certain pourcentage (que le groupe de travail n’a pas voulu définir) de l’indemnisation perçue par les victimes. Dans la salle, un membre de l’auditoire a rappelé qu’en Allemagne, la récente règle de limitation à 10 % de l’indemnisation a tari le contentieux, les tiers financeurs estimant que ces opérations n’étaient plus rentables. Le groupe de travail incite les professionnels à utiliser l’article 700 du code de procédure civile, en justifiant de leurs dépenses pour être défrayés.
Charlotte de France, juriste au sein de Google France, ne fait pas partie du groupe de travail mais a apporté le point de vue des entreprises lors de la conférence de presse de présentation des travaux. Elle s’est dite favorable à la divulgation des accords de tiers financement, et à la limitation de la rémunération car si la financiarisation de ces litiges ne relève certes pas de l’œuvre de charité, elle ne doit pas non plus être un objet de spéculation. Elle rappelle le scandale de l’affaire Merricks contre Mastercard, au Royaume-Uni, aux termes de laquelle seulement 50 % de la somme réglée est revenue aux victimes. Maria José Azar Braud a rappelé qu’après s’être penchée sur l’encadrement du tiers financement, l’Union européenne a considéré que le sujet n’était pas mature et a annoncé qu’elle n’irait pas plus loin dans l’encadrement des tiers financeurs à ce niveau. Ce sont donc les États-membres qui sont à la manœuvre. Ainsi, en Estonie et en Pologne, la rémunération du tiers financeur est plafonnée à 30 % et aux Pays-Bas à 25 %.
Rationnaliser la gestion
Les intervenants ont ensuite déroulé leurs propositions pour mieux gérer ces litiges répétitifs, qu’ils soient véritablement des actions de groupe ou des actions collectives d’une autre nature. Le groupe de travail préconise de faire appel à la notion de connexité, qui est pour l’instant à la seule main des parties et ne peut être relevée d’office par le juge, ce qui implique de pouvoir identifier des affaires similaires même lorsqu’elles sont portées devant des juridictions diverses. Selon Daniel Barlow, président de la chambre internationale de la cour d’appel de Paris, l’Observatoire des litiges de la Cour de cassation pourrait ainsi permettre d’identifier les litiges sériels. Une fois la série identifiée, le mécanisme dit du « jugement pilote » pourrait être adopté, impliquant d’identifier un cas topique qui sera tranché par le juge et qui servira de « canevas » aux litiges de même nature. Un système similaire à celui qui existe dans la justice administrative, permettant au juge saisi de statuer par voie d’ordonnance pour les litiges répétitifs. Cela implique toutefois de choisir le litige adéquat qui donnera lieu au jugement pilote et de pouvoir le rendre et le publier très rapidement. Charlotte de France a fait valoir que, du point de vue du défendeur à ce type d’action, il était nécessaire d’introduire du contradictoire dans le choix de l’espèce topique. Et si Daniel Barlow estime qu’en la matière on pourra sans doute compter sur une forme d’autorité « naturelle » du jugement pilote, le risque que d’autres juridictions y résistent n’est toutefois pas nul.