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Corruption : l’AFA muscle son action et renforce sa présence sur le terrain

Par Laura Dray

En publiant son rapport d’activité 2024, l’Agence française anticorruption (AFA) affirme une montée en puissance sans précédent dans sa mission de prévention et de détection des atteintes à la probité. À l’heure où les menaces s’intensifient, notamment sous l’effet du narcotrafic ou de la criminalité organisée, l’AFA opère un tournant stratégique, à la fois organisationnel et opérationnel.

Le 1er décembre 2024, l’AFA a lancé une réorganisation d’ampleur pour mieux répondre aux défis émergents. Parmi les nouveautés : la création de l’Observatoire des atteintes à la probité, chargé de produire des données objectives sur les formes et les dynamiques de corruption. Le renouvellement du conseil stratégique de l’Autorité en 2024, présidé par la directrice de l’AFA Isabelle Jégouzo, qui réunit huit hauts représentants des ministères de l’Intérieur, de la Justice, de l’Économie et des Affaires étrangères, incarne ce virage, cette instance contribuant à définir les priorités de l’AFA et à orienter sa stratégie globale. 

Une activité de contrôle toujours soutenue

Cœur historique de sa mission, l’activité de contrôle menée par l’AFA reste particulièrement dynamique. En 2024, 17 contrôles ont été effectués auprès d’acteurs publics. Ces interventions portent à 101 le nombre total de contrôles réalisés dans ce secteur depuis 2018. Ce chiffre témoigne de la constance de l’AFA dans l’examen des dispositifs anticorruption mis en place par les institutions publiques, notamment les ministères, établissements publics, et collectivités territoriales.

Du côté des acteurs économiques, l’année 2024 a vu la réalisation de 10 contrôles initiaux, soit 165 contrôles depuis la création de l’agence en 2017. Ces vérifications s’inscrivent dans le cadre de la loi Sapin II, qui impose aux grandes entreprises la mise en place de dispositifs de prévention de la corruption. L’AFA y joue un rôle de conseil mais également de surveillance, afin de garantir le respect des obligations légales. Cette répartition des contrôles souligne un effort de surveillance équilibré entre le public et le privé.

Des données chiffrées

Le rapport revient sur les expériences des entreprises face à la corruption sur les cinq dernières années.

Les chiffres sont éloquents : 37 % des entreprises ont été confrontées à un ou plusieurs cas de corruption ou de trafic d’influence. Quelque 27 % ont infligé au moins une sanction disciplinaire pour de tels faits. Environ 17 % ont déposé plainte ou transmis le cas à la justice pénale. Seulement 3 % des entreprises déclarent avoir connu au moins un cas de corruption ou de trafic d’influence ayant conduit à une condamnation judiciaire.

Parmi les signalements entrant dans le champ de compétence de l’AFA, on observe que 23 % concernent des faits de prise illégale d’intérêts, ce qui constitue le motif le plus fréquemment évoqué. Environ 15 % sont des signalements liés à des faits de corruption, tandis que 14 % évoquent des détournements de fonds ou de biens publics.

Enfin, le rapport recense les types de peines infligées pour des infractions liées à la probité (corruption, prise illégale d’intérêt, favoritisme, etc.). On retient que la peine la plus fréquente est celle catégorisée dans les « autres peines ». Cette catégorie totalise 7 875 cas sur 10 ans (de 2014 à 2023). En deuxième position arrivent l’emprisonnement ou la réclusion, prononcés dans 2 604 cas. En troisième position, les amendes avec 2 115 décisions, puis les interdictions (d’exercer, de candidater, etc.) qui représentent 1 545 décisions. Enfin, les confiscations de biens ou avoirs : 953 cas.

De manière générale, on observe une hausse progressive des condamnations jusqu’en 2017, puis une certaine stabilité ou légère baisse, suivie d’un regain dans les années 2022–2023, notamment pour les interdictions et les autres peines.

La prévention au cœur de la stratégie

En dehors des contrôles, l’année 2024 a été marquée par une forte intensification des actions de prévention et de sensibilisation. L’AFA a ainsi mené 50 actions auprès des acteurs publics, et 71 auprès des acteurs économiques. Ces interventions comprennent l’organisation de formations, d’ateliers, de sessions de conseil ou encore de séminaires de sensibilisation aux risques de corruption.

La priorité est mise sur les collectivités territoriales, et notamment sur le bloc communal, perçu comme un maillon souvent vulnérable face aux risques de dérapage éthique. En renforçant sa présence auprès des élus locaux, l’AFA cherche à diffuser une culture de la prévention au plus près du terrain.

Côté entreprises, ces actions visent à accompagner les dirigeants, responsables conformité et juristes dans l’élaboration ou la consolidation de leurs dispositifs anticorruption internes. Le dialogue s’est ainsi renforcé avec les PME, les ETI et les grandes entreprises confrontées à des enjeux de conformité croissants.

Un autre indicateur ressort très nettement du rapport 2024 : la hausse significative du nombre de signalements reçus par l’AFA. Cette dynamique s’inscrit dans le prolongement de la loi du 21 mars 2022, qui a renforcé la protection des lanceurs d’alerte en France. Depuis l’entrée en vigueur de ce texte, l’agence a été reconnue comme autorité externe de recueil des signalements, la plaçant au centre du dispositif national de lutte contre la corruption.

Reste une question majeure : celle des moyens humains et financiers de l’AFA. Si l’agence affiche des résultats solides, elle demeure une structure relativement légère au regard de l’ampleur de ses missions. La montée en charge du nombre de signalements, le besoin de développer l’accompagnement des collectivités et l’adaptation à des phénomènes comme le blanchiment ou les flux financiers illicites nécessiteront à terme un renforcement de ses capacités d’action. Ce qui ne semble pas être dans la tendance budgétaire du moment. 

L’année 2024 constitue néanmoins un tournant stratégique pour l’AFA. En réaffirmant son rôle dans l’écosystème anticorruption français et en diversifiant ses interventions, les équipes d’Isabelle Jégouzo entendent bien s’imposer comme des acteurs incontournables de la probité publique et privée.