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Confidentialité des avis des juristes d’entreprise : le CNB campe sur ses positions

Par Anne Portmann

Lors de son assemblée générale du 2 février 2024, la nouvelle mandature du CNB a réitéré son opposition à l’introduction en droit français d’un privilège de confidentialité qui couvrirait les avis émis par les juristes d’entreprise. Explications.

A

lors que l’on pensait la réforme quasi acquise, la volonté politique ayant pris la mesure des réalités économiques, la longue saga (cf. LJAM n° 86, p. 12) du privilège de confidentialité des juristes d’entreprise n’est pas encore terminée.

La représentation nationale des avocats, dans sa nouvelle composition, et avec à sa tête l’ancienne bâtonnière de Paris, Julie Couturier, avait été sollicitée pour se prononcer rapidement, après la censure par le Conseil constitutionnel des dispositions introduisant la réforme dans le projet de loi de programmation pour la justice, celles-ci ayant été considérées comme un « cavalier législatif », sans rapport avec l’objet initial de la loi. C’est à la suite de la décision des Sages que deux propositions de loi ont été déposées, l’une devant le Sénat et l’autre devant l’Assemblée nationale, afin de réintroduire ces dispositions dans notre système juridique. Il faut dire que les juristes d’entreprise avaient été très patients et considéraient désormais que la demande était urgente.

Entendus par les parlementaires dans le cadre de la proposition de loi déposée au Sénat, les avocats ont également saisi leurs trois instances représentatives afin que leurs membres se prononcent sur la question. Elles avaient déjà été consultées au printemps 2023, mais les changements de mandature avaient, semble-t-il, rendu une nouvelle consultation nécessaire.

Le barreau de Paris, lors de son conseil de l’Ordre du 30 janvier 2024, a ainsi voté une résolution indiquant une nouvelle fois qu’il était favorable au principe de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise, précisant toutefois que la réforme ne devait pas « aboutir à la création d’une nouvelle profession réglementée et ne saurait empêcher de poursuivre le projet de l’avocat en entreprise ». Une position que d’aucuns ont qualifiée d’ambiguë.

Province contre Paris

Du côté du CNB, un rapport a été présenté par deux élus aux points de vue radicalement opposés. D’un côté Vincent Maurel, ancien bâtonnier des Hauts-de-Seine, notoirement favorable à la réforme et, de l’autre, Jean-Marie Chabaud, ancien bâtonnier de Nîmes, farouchement opposé. Le rapport présente, de manière synthétique, les arguments des deux camps. Toutefois, les élus s’en sont tenus à leurs positions antérieures : les élus ordinaux parisiens et les élus ACE (Avocats conseils d’entreprises) se sont exprimés en faveur de la confidentialité, alors que les autres élus (collège ordinal province et élus syndicaux FNUJA / UJA de Paris, le SAF, la CNA et ABF) ont voté contre. À l’issue du scrutin, la résolution qui réitère son opposition à la réforme a été adoptée avec 64,6 % des voix.

À l’annonce de ce résultat, certains avocats dont Pierre-Olivier Sur, sur le réseau LinkedIn, ont vivement critiqué le mode de scrutin au sein de l’instance, qui ferait prévaloir un « système archaïque de légitimité syndicale totalement dépassé, puisque mis en place il y a 30 ans sur un rapport de force aujourd’hui anachronique ». L’ancien bâtonnier de Paris pose même la question de la légitimité du CNB, appelle à la création d’un ordre national et se demande si l’actuel bâtonnier, Pierre Hoffman, ne devrait pas, purement et simplement « quitter le CNB en appelant à une réforme profonde de l’institution ».

Julie Couturier, quant à elle, s’est retrouvée dans l’inconfortable position d’entériner un vote défavorable à la réforme, alors qu’en tant que bâtonnière de Paris, elle avait constaté le vote favorable des membres du conseil de l’Ordre à cet égard (v. ci-contre, notre interview). La proposition de loi déposée au Sénat par le sénateur Louis Vogel sera examinée par la commission des lois mercredi 14 février 2024.