Comment manier la médiation en droit des affaires ?
Jeudi 2 octobre 2025, l’avocat Jérémie Fierville organisait, avec le Club Droit d’ESSEC Alumni, une rencontre sur le thème suivant : « la médiation, outil de résilience des liens d’affaires dans un environnement économique incertain ». Les intervenants ont attiré l’attention de l’auditoire sur les précautions à prendre pour favoriser une issue conventionnelle favorable par ce biais en cas de conflit d’affaires.
Autour de la table ont échangé quatre spécialistes reconnus de la médiation. Outre Jérémie Fierville, qui organisait cette rencontre, était présents Stéphanie Fougou, présidente de l’Association européenne des juristes d’entreprise (AEJE), Sophie Henry, présidente du centre de médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP) et l’ancien ministre Matthias Fekl, fondateur du centre de médiation Equanim international. Ensemble, ils ont brossé le tableau des avantages et des inconvénients, en droit des affaires, de ce mode alternatif de règlement des litiges.
Surmonter les crises
De l’avis général, la conjoncture actuelle est favorable à l’essor de la médiation dans le domaine des affaires, notamment en raison des équilibres géopolitiques instables, et alors que des risques systémiques pèsent sur les contrats et peuvent affecter des secteurs entiers de l’économie. Sont ainsi mis en cause les tarifs douaniers, la probable prochaine dévaluation du dollar ou la hausse de prix de l’énergie. Des aléas que les clauses habituelles d’imprévisibilité ne permettent pas de surmonter. Stéphanie Fougou constate que l’appétence des directions juridiques européennes pour des outils rapides, qui permettent d’éviter le risque, est en effet importante. Chaque année, de 1,3 à 5 millions de médiations ont lieu en Europe, et 40 % d’entre elles viennent d’Italie, pays très enclin à l’utilisation de ces solutions alternatives de règlement, tout comme ceux d’Europe du Nord. Quelque 50 à 70 % des médiations aboutissent à un accord, trouvé en moyenne 3 ou 4 mois après la saisine du médiateur et ce pour un coût 3 à 10 fois moins cher qu’un recours au système judiciaire. « La médiation est une façon d’aller vite et d’évacuer le risque », poursuit la présidente de l’AEJE.
Sophie Henry relate qu’entre 2020 et 2023, les saisines du CMAP pour médiation ont augmenté de 40 % et constate une augmentation des clauses de médiation dans les contrats. Le coût moyen d’une médiation est de 8 000 €. « Nous n’avons pas établi de corrélation entre la présence d’une clause de médiation au contrat et le succès des médiations, mais il est certain que cela incite les parties à échanger après la rupture », observe-t-elle.
La médiation séduit, c’est indéniable et Matthias Fekl, fondateur d’Equanim international, ne peut qu’attester de son succès. Il faut dire que la mise en place et la promotion de la politique amiable par l’ancien garde des Sceaux, qui a nommé des ambassadeurs de l’amiable et installé un Conseil national de la médiation, y a sans doute contribué. De même qu’au plan international, la Convention de Singapour sur la reconnaissance des accords de règlements internationaux issus de la médiation. Un soutien institutionnel bienvenu à une pratique longtemps méconnue, qui a contribué à faire prendre conscience que nombre de situations conflictuelles se prêtent au résolument par voie de médiation.
Être prêt
Matthias Fekl rappelle qu’il est fondamental que la culture de la médiation se développe au plus haut niveau de l’entreprise, auprès des directeurs juridiques, du comex et des dirigeants, même si l’exercice n’est pas évident. Citant l’un de ses confrères avocat qui se plaît à systématiquement « proposer une médiation quand il a on bon dossier, car l’aléa judiciaire est trop important », il souligne que dans la culture française, les réticences culturelles à cette voie de règlement sont encore fortes. Jérémie Fierville confirme en effet cet état d’esprit parfois très marqué dans certains secteurs, notamment celui de la finance. « Pour certains, négocier, c’est renoncer », déplore Sophie Henry. Les intervenants soulignent toutefois qu’accepter et faire accepter une médiation n’a rien d’évident. « En contentieux et en arbitrage, le juge ou l’arbitre prend la décision pour les entreprises, mais en médiation, ce sont les parties qui la prennent », observe pertinemment Stéphanie Fougou. Une prise de pouvoir à faire valoir, mais qu’il faut aussi assumer. Et même si désormais les directions générales commencent à comprendre le principe de la médiation, peu connaissent vraiment la procédure. « Il faut être prêt, il y a un moment propice pour proposer la médiation, et c’est l’un des facteurs de son succès », lance Jérémie Fierville. Matthias Fekl souligne qu’elle a notamment un intérêt lorsque dans le dossier, quelque chose se joue au-delà du droit. « Il y a souvent un effet catharsis dans une médiation », dit-il.
Paris, place de médiation
La majorité des intervenants critique les dispositions du décret entré en vigueur en juillet dernier, qui oblige les parties à un litige à s’informer sur la médiation, sous peine d’amende. Une systématisation contre-productive, estiment la plupart, qui soulignent que ces dispositions peuvent mettre l’avocat en porte-à-faux. Stéphanie Fougou, plus nuancée, considère que la réforme pourrait faire avancer un système bloqué. Mais tous s’accordent à dire que si l’on souhaite développer la médiation, il faut viser l’excellence, en formant des médiateurs compétents. À cet égard, le manque d’organisation interne des juridictions, qui suscite l’incompréhension quant aux listes de médiateurs agréés, est souligné. « Il faut rappeler aux parties qu’elles ont la possibilité de choisir un médiateur autre que celui désigné par le juge, et à cet égard, faire appel à un centre de médiation qui garantit la compétence, peut être plus facile », relève Sophie Henry.