Connexion

Comment innover en justice ?

Par Anne Portmann

Les 15 et 16 novembre 2023, se sont tenues les premières rencontres du Réseau international de l’innovation en justice à Paris (RIIJ), dans les locaux de la Chambre nationale des commissaires aux comptes. Une rencontre qui a mis en évidence la nécessité pour l’institution judiciaire et les praticiens de multiplier les échanges avec les chercheurs.

Le réseau international de l’innovation en justice est le fruit de la collaboration entre l’Institut québécois de réforme du droit et de la justice (IQRDJ) et l’Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ) - lui-même issu de la fusion en 2021 entre la mission de recherche Droit et Justice et l’Institut des hautes études sur la justice. Le réseau est soutenu par la Commission permanente de coopération franco-québécoise. À l’occasion de son premier colloque scientifique pluridisciplinaire, qui s’est tenu pendant deux jours dans la capitale française, les participants ont pu échanger et élargir leur point de vue sur des sujets généraux liés à la justice. Magistrats, hauts fonctionnaires et avocats ont ainsi pu côtoyer des professeurs de droit, mais aussi des sociologues et des anthropologues, de France, du Canada et du Brésil. L’objet de ce premier rendez-vous était d’explorer les transformations récentes, en cours ou envisagées, du monde de la justice et d’examiner l’émergence, le déploiement et la diffusion des innovations, en s’intéressant notamment aux dynamiques qui en relèvent, aux effets qui en résultent et aux horizons qui en émanent.

Le colloque s’est articulé autour de plusieurs axes, l’un consacré aux politiques de la justice, un autre sur les institutions judiciaires, un troisième portant sur la justice participative et un dernier relatif aux pratiques d’intermédiation juridique. Les intervenants se sont d’abord demandé si la justice était une organisation comme les autres. Puis, un deuxième panel a débattu du rôle des procédures judiciaires, au-delà de la conduite du procès. La question de savoir si les dispositifs numériques étaient une garantie d’accès à la justice a également été abordée. Le deuxième jour, après s’être interrogés sur la justice participative, les panélistes se sont penchés sur la modification des pratiques des professionnels de la justice dans cette perspective. Les points de vue des différents intervenants et la pratique venant des trois pays représentés (France, Canada et Brésil) ont contribué à enrichir les débats.

La science juridique et ses applications

Le colloque s’est clôturé par une table ronde qui explorait les pistes d’une meilleure collaboration entre chercheurs et professionnels de la justice. L’ensemble des intervenants est convenu du besoin de travaux de recherche sur la matière juridique, ainsi que de l’indispensable collaboration entre chercheurs et professionnels de la justice. À cet égard, le manque de supports permettant à la presse de restituer le résultat des recherches en la matière a été souligné, notamment côté français, de même que la nécessaire pédagogie à l’égard des citoyens. Pierre Noreau, professeur à l’université de Montréal et président de l’IQRDJ, a souligné, sur ce point, que l’avantage de la double culture canadienne conduisait les juges d’outre-Atlantique, imprégnés de l’exemple anglo-saxon, à beaucoup expliquer leurs décisions. Benjamin Deparis, président de la conférence des présidents des tribunaux judiciaires français, a pointé que la justice, dans l’acception française, activité régalienne par excellence et donc verticale, était très circonspecte vis-à-vis de la discussion et de l’analyse. « La fonction de la recherche scientifique n’est pas bien connue des professionnels », a-t-il lancé. Cependant, les pratiques changent et les mutations sont en cours, comme en témoigne le rapport prospectif de la commission de réflexion sur la Cour de cassation 2030. Jacques Commaille, professeur à l’ENS Cachan, a constaté de son côté que de plus en plus d’espaces de recherches pluridisciplinaires se mettent en place et que la culture de la recherche scientifique commence à se diffuser auprès des magistrats. Ainsi, il a observé que les arrêts de la Cour de cassation commencent à intégrer des éléments issus de la recherche en sciences sociales. Il a donc appelé à introduire davantage de culture scientifique au sein du milieu judiciaire, notamment au stade de la formation initiale. Shauna Van Praag, présidente de la commission du droit du Canada, a souligné quant à elle qu’une compréhension réciproque des méthodologies appliquées par les scientifiques et les juristes, très différentes, était nécessaire. Elle a aussi appelé à une réflexion sur la responsabilité sociale du côté de la recherche. « La recherche doit être responsable, car on ne sait jamais comment et à quelles fins les travaux peuvent être utilisés », a-t-elle remarqué.

En conclusion du colloque, Pierre Noreau et Isabelle Sagant, directrice de l’IERDJ, se sont félicités de la diversité des thèmes abordés pendant ces deux jours, au cours desquels les sujets ont été explorés tant sur le plan pratique que théorique. Rendez-vous a été donné aux participants, en septembre 2024, à Montréal, pour la deuxième édition du rendez-vous international de l’innovation en justice.