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Code de déontologie des juristes d’entreprise : quelle applicabilité ?

Par Audrey Tabuteau

Adopté en octobre 2014 par l’AFJE et le Cercle Montesquieu, le code de déontologie des juristes d’entreprise atteint le fameux « âge de raison ». Bilan et perspectives de ce « Jiminy Cricket » de la profession avec Philippe Coen, président et fondateur du Comité de déontologie des juristes en France.

Composé de dix articles rédigés dans des termes généraux, et complété par un corpus explicatif évolutif contenant des recommandations pratiques, le code de déontologie des juristes d’entreprise – dont la refonte avait demandé deux ans de travaux et d’études comparatives – entre dans sa septième année d’application. Toute association de juristes d’entreprise a vocation à y souscrire. À ce jour, l’AFJE et le Cercle Montesquieu l’ont adopté et le font appliquer par leurs membres, qui représentent environ 50 % des 17 000 juristes en France. « Le code est un des ciments de notre profession et probablement une des fiertés d’appartenance qui raisonnent de plus en plus auprès des jeunes juristes, sensibles au fait que cette profession ait un plus de conscience, un "Jiminy Cricket professionnel". Si l’on fait l’inventaire des salariés d’une entreprise, le juriste est le seul qui a un supplément éthique garantit par un code national », déclare Philippe Coen, président et fondateur du Comité de déontologie des juristes en France. Pour autant, la portée du code n’est pas réservée qu’aux juristes : « C’est un outil de juriste à destination de son écosystème. Lorsque l’on travaille sur la déontologie, on améliore le niveau de la culture juridique dans l’entreprise et, par voie de conséquences, la compétitivité et l’éthique générale qui s’appliquent à l’entreprise, ses investisseurs, ses salariés, ses clients et ses prospects », précise-t-il.

Peu de saisines du Comité de déontologie

Depuis sa parution, le texte qualifié « d’innovant », étant par exemple l’unique code de déontologie doté d’un article relatif à la « responsabilité d’encadrement » (art. 8). Sans insérer explicitement le mot « harcèlement », le code ouvre une voie de recours en cas d’abus devant le Comité de déontologie des juristes. « Nous avons eu peu de saisines et uniquement pour avis. Mais nous savons que les mois à venir vont être difficiles. En période de tensions économiques, des difficultés sur le plan éthique peuvent émerger : des managers pourraient exiger du juriste d’aller au-delà des lignes. Céder à une pression quelconque n’est pas conforme à l’ADN de notre profession qui repose sur des principes de non-conflit d’intérêts, d’indépendance, d’éthique et de confidentialité. Le juriste devra avoir à l’esprit ces règles fondamentales et les lignes rouges qu’il faut savoir ne pas dépasser pour éviter de trahir sa conscience professionnelle », alerte le président du Comité.

Que conclure du peu de saisines du Comité de déontologie ? La prudence du juriste à s’engager dans une procédure disciplinaire ? La jeunesse d’un code qui, comme toute doctrine qui débute, demande du temps pour entrer dans les usages ? « Le travail en matière de déontologie est un travail de longue haleine. Il faut agir sur la formation, la pédagogie et l’explicitation des droits et des devoirs des juristes. Il y a au sein de notre profession une tradition de la discrétion et du secret qui parfois est confondue avec le fait que l’on aurait des droits amoindris par rapport ceux qui sont les nôtres. Nous recommandons aux juristes, en activité ou à la recherche d’emploi, de mentionner sur leur cv et leurs réseaux sociaux leur appartenance à une organisation professionnelle régie par un code de déontologie, de rendre visible leur engagement à des règles supérieures à celles issues de leur contrat de travail et aux policies internes », expose Philippe Coen.

Un avenir prometteur

Prônant la convergence des enseignements juridiques pour tous les professionnels du droit, le président du Comité serait favorable à inclure dans les programmes universitaires un cours de déontologie qui pourrait être dispensé en Master 1, année où les jeunes juristes postulent à des stages. En attendant une telle réforme, l’AFJE va, dans le courant de l’année 2021, adjoindre à son programme de formation un MOOC de 50 minutes. Obligatoire pour tous les membres des deux associations régies par le code, le cours en ligne permettra une validation des acquis des principes fondamentaux du code.

Allié du juriste pour savoir dire « non » aux potentielles dérives, le code est aussi un facilitateur du quotidien dans le cadre d’une négociation confidentielle entre deux entreprises : « dans l’éventualité où les deux juristes parties à la convention sont membres de l’une des associations, ils peuvent échanger sous l’égide de l’article 6 du code et éviter la signature d’une convention de confidentialité », rappelle Philippe Coen.

Mais l’avenir du code dépendra de l’issue que connaîtra le projet de profession unifiée relancé à l’automne par la Chancellerie. La force du texte réside en effet dans le fait que ses rédacteurs, défenseurs de cette unité, s’étaient préparés à une telle éventualité : « Le code a été rédigé de manière à ce qu’il n’y ait pas la moindre incompatibilité entre les deux éthiques professionnelles. Le but est que l’un nourrisse l’autre, sans que l’un ne prévale sur l’autre. Si le rapprochement voit le jour, nous disposerons, comme au Québec, d’un code de déontologie pour l’exercice de l’avocat en entreprise ».

Le débat sur la déontologie est ouvert. Il se situe au cœur de l’avenir des professions du droit exerçant dans et auprès des entreprises. Affaire à suivre. 

Philippe Coen AFJE Cercle Montesquieu