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Certification des données ESG par les avocats : l’épineuse question du secret

Par Anne Portmann

Dans le cadre de la transposition imminente de la directive européenne CSRD (corporate sustainability reporting directive) entrée en vigueur le 5 janvier dernier, les avocats français réfléchissent à leur rôle dans la certification des rapports de durabilité. Marion Couffignal, qui préside la commission Droit et entreprise au sein du Conseil national des barreaux (CNB), a déposé un rapport d’information à ce sujet. Interview.

Dans quel cadre est intervenue cette réflexion autour de la certification des critères ESG par les avocats ?

Marion Couffignal : La commission Droit et entreprise a entrepris cette réflexion dès la parution du projet de directive. Il nous avait paru pertinent de nous interroger sur le rôle des avocats dans le cadre de la certification obligatoire des rapports de durabilité, dès lors qu’il avait été envisagé de permettre à d’autres que les commissaires aux comptes d’accomplir cette mission. Nous avons suivi les travaux, mais nous ne devons pas tellement tarder dans notre réflexion, car la loi DADUE du 9 mars 2023 impose la transposition par voie d’ordonnance dans un délai de neuf mois, ce qui est relativement court. C’est pour cette raison que nous devons avancer et que j’ai présenté à l’assemblée générale du CNB un rapport d’information, sans vote, mais j’espère, d’ici la fin du mois de mai, présenter aux élus un rapport soumis au vote, qui leur permettra d’avoir une vision claire de la question.

Comment avez-vous élaboré ce rapport d’information ?

M. C. : Avec les membres de la commission Droit et entreprise, nous avons décortiqué le sujet et travaillons en synergie avec deux autres commissions : la commission Règles et usages et la commission Formation. Nous allons également procéder à l’audition de personnes qualifiées. Nous nous sommes notamment posé la question de la formation et de savoir comment il serait possible de mettre en place des apprentissages adaptés en termes de RSE et au-delà, notamment pour initier les avocats à la méthodologie de l’audit.

Quel est l’avantage de la profession d’avocat par rapport à d’autres sur ces questions ?

M. C. : De par son périmètre, la profession d’avocat peut avoir une compétence en matière de données non financières, notamment en ce qui concerne les chaînes de contrat ou les informations de plan de vigilance, ou encore la gouvernance des entreprises. Pour certifier les rapports de durabilité, il faudra être en capacité de croiser les données issues de ces rapports avec celles issues du rapport financier afin de vérifier si les investissements annoncés en matière de durabilité se retrouvent dans les rapports financiers. Il est indispensable d’avoir une complémentarité d’acteurs sur ces questions et à cet égard, l’expertise de l’avocat vient utilement compléter celle des professionnels du chiffre. La durabilité est un sujet transverse, que les avocats travaillent déjà beaucoup.

Quelles sont les questions que doivent se poser les avocats par rapport à ce rôle de certification ?

M. C. : Le problème est de savoir comment cette mission de certificateur pourrait s’articuler avec l’activité d’avocat. Se pose la question du secret professionnel et de savoir si cette activité de certification doit être isolée de celle de l’avocat et selon quelles modalités pratiques. La question se pose également de savoir si un secret pourrait être partagé entre l’avocat et d’autres professionnels certificateurs, comme le commissaire aux comptes qui certifie les données financières avec lesquelles il pourrait être pertinent de faire des recoupements. Par ailleurs quelles pourraient être les modalités de contrôle de cette activité ? Une chose est évidente, c’est que l’avocat ne peut pas certifier le rapport de durabilité d’un client qu’il accompagne en conseil ou en contentieux. La question de l’indépendance de l’avocat certificateur doit également se poser, car cette activité peut avoir de graves conséquences pour le client, si l’on imagine une dépréciation boursière.

Concernant la formation, quelles questions doivent se poser ?

M. C. : Il s’agit, pour les avocats certificateurs, d’acquérir des compétences pointues et techniques qui vont au-delà du juridique en matière à la fois d’audit et de RSE. Par exemple, il doit être capable de jauger de la pertinence d’un bilan d’émission de gaz à effet se serre (GES), de scopes de niveau, 1, 2 ou 3, ce qui demande des connaissances spécifiques.

Quelle suite sera donnée au dépôt de votre rapport d’information ?

M. C. : Après le dépôt du rapport d’information, le bureau décidera de la procédure à mettre en oeuvre avant la soumission au vote du rapport final à l’assemblée générale du CNB