BD dans les cabinets d’avocats : entre mutation progressive et révolution silencieuse
Dans un paysage juridique en pleine transformation, le business development (BD) joue un rôle de plus en plus stratégique au sein des cabinets d’avocats. Longtemps perçue comme une fonction d’appoint, cantonnée à la réponse aux appels d’offres, cette discipline connaît aujourd’hui une évolution profonde.
Si le changement est encore lent et hétérogène, certaines pratiques émergent, réinventent le métier et bousculent les lignes établies. La place du BD reste encore très dépendante de la culture propre à chaque cabinet d’avocats. Dans la majorité des cas, le rôle du business developer demeure traditionnel, avec un fort aspect administratif : répondre aux appels d’offres, préparer des documents de présentation, organiser des événements ou assurer la publication de newsletters. La fonction est alors peu intégrée à la réflexion stratégique globale du cabinet et rarement en interaction directe avec les clients.
Cependant, cette approche basique est en train de céder du terrain. Certains cabinets, souvent internationaux ou en forte croissance, redéfinissent les contours du BD. La gestion de comptes clients stratégiques, historiquement dévolue aux avocats, est désormais confiée à des professionnels du développement commercial, mieux armés pour structurer la relation sur le long terme. Cette tendance répond également à une attente explicite des clients : être accompagnés par des interlocuteurs capables de comprendre leurs enjeux business, au-delà de la seule prestation juridique.
Vers une spécialisation sectorielle
et une relation client plus directe
Dans ces cabinets en avance sur leur temps, le BD se spécialise par secteur ou par typologie de services tel que le cabinet Clyde & Co spécialiste en transports, construction et infrastructure. Ce positionnement renforce la crédibilité du BD en interne, mais aussi sa légitimité à dialoguer directement avec les clients. Cette relation directe devient d’ailleurs un levier de différenciation. En allant sur le terrain, en posant les bonnes questions, les professionnels du BD identifient des opportunités de croissance que les avocats ne peuvent aller chercher. « Le business developer est parfois le seul à pouvoir poser les questions que les avocats n’osent pas formuler. Il ose parler budget, ressenti, projection. Il crée un espace de dialogue nouveau que le client n’avait jamais eu », commente Jeanne-Sophie Niard co-fondatrice de Boost avant de poursuivre : « Le BD n’est pas un support. Il est un vecteur de croissance. C’est lui qui capte l’implicite, devine les signaux faibles, et sait où creuser pour faire émerger un besoin ».
Des modèles anglo-saxons inspirants
À l’international, notamment aux États-Unis et aux Pays-Bas, le rôle du BD est bien plus avancé. Certains cabinets comme Buren vont jusqu’à confier la gestion commerciale à des profils non-juristes, rémunérés à la performance, comme le ferait une direction des ventes dans un grand groupe. Ces professionnels – parfois d’anciens avocats, parfois issus du marketing ou du conseil – disposent d’une vision d’ensemble sur les forces du cabinet, sont capables de « marketer » les expertises et de vendre des millions de dollars de prestations légales. Ils travaillent en tandem avec les avocats. Le rendez-vous client ne se fait plus seul : il devient une rencontre stratégique où BD et avocat co-construisent la relation. Ce modèle, encore marginal en France, séduit néanmoins les jeunes générations de professionnels du développement commercial. Il démontre que le métier peut évoluer vers un rôle central, vecteur de croissance et de transformation.
L’IA et la data :
catalyseurs d’une nouvelle ère du BD
La révolution technologique offre d’ailleurs des opportunités inédites au métier. L’intelligence artificielle permet désormais d’automatiser un grand nombre de tâches à faible valeur ajoutée : préparation de questionnaires pour les classements juridiques, synthèse de dossiers etc... Ces technologies permettent également d’améliorer la connaissance client grâce à des systèmes CRM avancés. Il devient possible de suivre précisément les interactions, de cartographier les besoins et d’identifier les moments clés où intervenir. La donnée devient un levier de croissance à part entière.
Une nouvelle communauté
pour faire bouger les lignes
« Tant que les BD ne croiront pas eux-mêmes à la valeur de leur rôle, ils resteront assignés à des fonctions secondaires. Il faut qu’ils prennent leur place, qu’ils osent », militent Jeanne Sophie Niard et Barbara Koenen-Geerdink, fondatrices de la communauté Boost. Sur un modèle assez semblable au LMA -legal marketing association – mais ayant un positionnement plus international, cette plateforme communautaire dédiée aux professionnels du BD dans les cabinets d’avocats est née d’une double frustration : d’une part, la difficulté à faire reconnaître le rôle stratégique des BD dans des environnements encore très hiérarchisés, d’autre part, l’absence de formation et de trajectoires claires du métier. Boost repose ainsi sur trois piliers : informer, former, et transformer. Elle propose un espace d’échanges, des modules de formation en e-learning, ou encore du live coaching. Avec une volonté forte : redonner confiance aux BD, et leur offrir les outils pour revendiquer leur légitimité. Sous leur impulsion, des think tanks se tiennent régulièrement à Dubaï, Milan, Amsterdam ou encore Paris, pour alimenter la réflexion autour de la profession. Des interviews de managing partners, menées dans le monde entier, permettent de comprendre leurs attentes vis-à-vis de cette fonction longtemps sous-estimée. Avec au cœur de leur démarche, une audace assumée, qui contribue à mieux positionner le BD au cœur de la stratégie des cabinets.