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Avocats conseillers prud’homaux, une plus-value pour le métier d’avocat et la juridiction

Par Anne Portmann

Alexandre Abitbol et Stéphane Bloch, associés du cabinet Ogletree Deakins, dédié au droit social, exercent une fonction méconnue, mais pas si rare chez les avocats : ils sont conseillers prud’homaux, respectivement à Nanterre et à Créteil. Ils expliquent à la LJA pourquoi ils ont choisi de siéger au sein de cette juridiction, ce que cela leur apporte dans leur exercice et ce qu’ils pensent pouvoir apporter à l’institution.

Pourquoi êtes-vous devenus conseillers prud’homaux ?

Alexandre Abitbol : En ce qui me concerne, je voulais contribuer au service public, notamment s’agissant d’une juridiction qui a la réputation, erronée, de ne pas fonctionner très bien.

Par ailleurs, comme je traite beaucoup de contentieux en droit du travail, j’avais la volonté de me perfectionner et de comprendre l’envers du décor. Je suis conseiller prud’homal, dans le collège employeur, depuis six ans, dans la section activités diverses.

Stéphane Bloch : Quant à moi, je viens de devenir conseiller prud’homal, ma première audience a eu lieu le 5 mars au CPH de Créteil, au sein de la section encadrement. Je voulais également passer de l’autre côté du miroir et une curiosité que je crois assez saine m’a donné envie de faire bénéficier de mes compétences une juridiction qui, il faut bien le dire, est à tort assez décriée, souvent présentée comme n’étant pas trop juridique. Ma première audience a prouvé le contraire et j’ai pris part à des débats riches et techniques entre conseillers.

Comment devient-on conseiller prud’homal ?

A. A. : Il faut d’abord trouver un syndicat – patronal en l’occurrence – qui va s’assurer de vos motivations et aussi de vos compétences. Aucun problème en ce qui concerne les avocats pour le volet juridique, mais il est également essentiel d’avoir des salariés et d’avoir une expérience des relations sociales avec eux. D’ailleurs nous côtoyons sur les bancs du conseil des techniciens, des DRH, des juristes, des spécialistes des relations sociales dans l’entreprise, etc.

S. B. : En ce qui me concerne, j’ai également été approché, par l’intermédiaire d’un client, par un syndicat d’employeurs, à la recherche de professionnels désireux d’exercer ces fonctions. Les vocations sont rares, en effet, car la tâche prend du temps et juger peut faire peur. Comme tous les conseillers prud’homaux, nous sommes astreints à une formation auprès de l’ENM, qui ne pose aucune difficulté lorsque l’on est juriste, mais qui me semble très lourde pour ceux qui ne le sont pas. Cette formation est complétée de travaux en ateliers toujours encadrés par l’ENM.

Combien de temps consacrez-vous à cette activité ?

A. A. Tout dépend si l’on choisit de présider les audiences ou non. Cela se décide à chaque rentrée lors de l’assemblée générale de la juridiction. La présidence d’audience implique de rédiger et signer les décisions, ce qui demande du temps, même pour des professionnels comme nous ! Au début, rédiger un jugement me prenait environ 8 heures. Aujourd’hui, l’expérience m’a fait acquérir certains automatismes et la rédaction me prend 2 à 3 heures pour un jugement dans un dossier simple. Il faut aussi dire que depuis 3 ans, il existe une base de données qui permet de faciliter la rédaction des jugements (projet Portalis mis en œuvre par le ministère de la Justice). Aujourd’hui, je consacre une centaine d’heures par an à mon mandat.

En termes de déontologie, avez-vous été confrontés à des situations de conflit d’intérêts ?

S. B. : Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, il n’existe aucune incompatibilité entre l’exercice de la profession d’avocat et la qualité de conseiller prud’homal. Comme tous les conseillers prud’homaux, nous nous astreignons à l’impartialité et à rendre des décisions objectives. Le jour où un dossier qui concerne un salarié employé dans le groupe de l’un des clients de notre cabinet est audiencé, nous nous déportons. Et bien entendu nous ne plaidons jamais personnellement devant la juridiction où nous siégeons.

A. A. Stéphane a bien résumé la situation. Le Conseil de prud’hommes de Nanterre, au sein duquel je siège, est la 3e juridiction prud’homale de France. Il arrive régulièrement que des associés de mon cabinet y plaident. Dans ce cas, ce sont les règles ordinaires de conflit d’intérêts qui sont appliquées et il est évident que nous ne siégeons pas.

Est-ce que siéger au sein de la juridiction a modifié votre pratique professionnelle en tant qu’avocat et comment ?

A. A. : Je me suis rendu compte qu’au-delà d’une dizaine de minutes de plaidoiries, l’attention des conseillers faiblit. En tant qu’avocat, je me force donc à être très synthétique et aller droit au but. Les pièces sont aussi très importantes, car peu de conseillers ont lu le dossier avant l’audience. Il faut donc bien préparer le dossier de plaidoiries et tout de suite donner des repères aux conseillers, quel que soit le collège d’ailleurs. Dès lors, j’ai un peu modifié la façon dont je présente mes dossiers, afin de détailler tout de suite les pièces et la jurisprudence utile.

S. B. : J’ajoute qu’au-delà de l’aspect formel, les échanges entre conseillers employeurs et conseillers salariés sont très intéressants et apportent un autre point de vue sur la politique sociale. La confrontation des idées et le nécessaire consensus pour aboutir à une décision font de la juridiction un lieu de dialogue social très fécond. Bien souvent, les décisions sont unanimes et il y a finalement assez peu de départages. Je conseille vivement l’expérience aux confrères travaillistes ainsi qu’aux autres avocats. Elle apporte une véritable plus-value dans notre métier et je crois sincèrement que nous apportons aussi notre compétence technique à la juridiction T