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Au 3e Forum Tracfin : « Faire parler l’argent », l’affaire de tous

Par Anne Portmann

Vendredi 7 novembre 2025 se tenait au ministère de l’Économie et des Finances le 3e Forum de Tracfin, le service de renseignement financier du ministère, qui correspondait au 35e anniversaire de la création de la cellule. Son directeur général, Antoine Magnant et François Villeroy de Galhau, directeur de la Banque de France et grand témoin de ce forum, ont insisté sur la vigilance accrue demandée aux professions soumises aux déclarations de soupçon. Déroulé.

« Faire parler l’argent ». Telle est la nouvelle devise du service de renseignement financier du ministère de l’Économie et des Finances, adoptée au début du mois d’octobre dernier. Et Antoine Magnant, devant un auditoire nombreux composé principalement de représentants d’établissements financiers, a salué leur implication. « Sans vous, Tracfin n’est rien », a-t-il lancé. Mais si certaines professions envoient peu ou pas de déclarations – comme les avocats ou les agents sportifs, assujettis depuis 15 ans – d’autres « déclarent trop », a déploré le directeur général, notamment dans le secteur financier, qui représente 93 % des déclarations de soupçon reçues. En cinq ans, il a constaté une augmentation de 90 % des déclarations et, en dix ans, plus de 400 %. « Si l’on continue sur ce rythme, le service devra traiter 2 millions de déclarations d’ici cinq ans », a-t-il annoncé. En outre, le volume des enquêtes approfondies augmente trois fois plus vite que le nombre d’enquêteurs dont dispose le service.

Antoine Magnant ainsi que François Villeroy de Galhau ont donc, en chœur, appelé à faire primer la qualité sur la quantité. Pas question de transmettre des déclarations de soupçon en nombre pour se décharger de sa responsabilité, surtout à l’heure de l’intelligence artificielle, préviennent-ils. Les autorités attendent un minimum d’analyse et que les professions assujetties soient de véritables partenaires de la lutte contre le fléau du blanchiment. À cet égard, il a été rappelé qu’au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, ce sont des échanges de sommes modestes entre auteurs et commanditaires qui ont permis d’identifier certains acteurs.

Face à un afflux de déclarations de soupçon qui peuvent parfois apparaître comme des « déclarations de couverture », on songe à introduire des critères d’irrecevabilité qui pourraient soulager les enquêteurs, ou encore de généraliser l’IA Lucia, développée par l’ACPR pour analyser les transactions et ainsi faire primer la qualité sur la quantité, notamment alors que le Gafi se prépare à contrôler de nouveau, en 2028, le système français de LCB-FT, auquel il avait donné un satisfecit lors des dernières inspections. « Les professions, financières ou non, sont la ligne de front de la lutte contre la criminalité financière », a conclu Antoine Magnant.

Illustrations concrètes

Pour la première fois, lors des deux tables rondes qui se sont ensuite succédé, respectivement sur le sujet des crypto-actifs et sur la criminalité organisée, deux sujets liés, des agents de Tracfin sont venus présenter, aux côtés des autres invités, des schémas de délinquance financière sur lesquels ils ont travaillé. Afin de respecter leur anonymat, il était interdit de photographier les tables rondes, qui ont été riches en échanges entre les acteurs du secteur et l’auditoire.

Yohann Briant, directeur de la conformité et des risques chez Coin House a démystifié les cryptos, expliqué qu’ils n’étaient pas le Far-West que l’on imagine. Il a aussi révélé la difficulté de recruter des personnes spécialistes de la conformité dans le secteur, réputé à tort compliqué. « En utilisant la blockchain, on laisse des traces », a prévenu Michel Vaugiac, directeur général de Circle, émetteur de Stable coins, tandis qu’un enquêteur révélait les grandes lignes d’une enquête relative à un influenceur qui réclamait des dons à ses « followers », dons qui étaient convertis en crypto-actifs et envoyés à des organisations djihadistes via une cinquantaine d’adresses de collecte. Lors de la deuxième table ronde, a été évoquée la création prochaine du Parquet national anti-criminalité organisée (PNACO) qui n’aura pas compétence pour les cyber délits, contrairement à la JUNALCO, et de l’articulation de leur compétences respectives qui peuvent se recouper par ailleurs. Antoine Marly, responsable de la sécurité de la société Nickel, qui permet, d’ouvrir un compte avec une carte de paiement en quelques minutes auprès d’un buraliste, a expliqué comment des systèmes de détection des flux suspects, fondés sur des signaux faibles, avaient été mis en place pour lutter non seulement contre le narco-trafic, mais aussi le proxénétisme, la pédocriminalité, etc, passant de zéro déclaration adressée aux services de Tracfin à soixante-dix par an. Juliette Hérault-Vigliano, chargée des risques pour la société Qonto, a de son côté expliqué comment une IA maison détectait la fraude documentaire, un enjeu crucial et a mis en place une vigilance particulière concernant les sociétés éphémères, qui se constituent souvent dans le secteur du transport ou du BTP.

Cette journée riche en échanges a été clôturée par le ministre de l’Économie et des Finances, Roland Lescure, qui a rappelé que la capacité de la France à lutter contre la délinquance financière était l’une des composantes de son attractivité économique. « Une économie saine est un facteur d’attractivité et vous êtes l’équipe de France de la lutte contre tous les trafics. La vigilance doit être collective », a-t-il conclu.