Connexion

Acquisition de congés payés en cas de maladie : ne rien changer ?

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Dans une décision rendue le 8 février 2024, le Conseil constitutionnel affirme que les dispositions du code du travail qui précisent que le salarié malade n’acquiert pas de congés payés sont conformes à la Constitution. Que faut-il en comprendre ? Explications d’Arnaud Teissier, associé du cabinet Capstan Avocats. 

Dans quel contexte la décision du Conseil constitutionnel a-t-elle été rendue ?

Par plusieurs arrêts du 13 septembre 2023, la Cour de cassation a créé la surprise en jugeant qu’un salarié absent pour maladie, même non professionnelle, devait acquérir des congés payés pendant leur absence. La Cour de cassation a écarté les dispositions du code du travail - qui prescrivent pourtant le contraire - invoquant un manquement au droit de l’Union européenne et à la jurisprudence de la CJUE. Elle a ainsi placé les entreprises dans une véritable insécurité juridique et financière, car cette solution les expose à des répercussions financières considérables. Le coût est évalué à 2 Mds€ par an, pour les estimations les plus optimistes. Par ailleurs, le doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation a laissé entendre qu’un rattrapage pourrait être dû au titre des 15 dernières années… Les sommes en jeu sont donc considérables. Aucune entreprise n’a bien évidemment provisionné de tels montants. Aucune n’a d’ailleurs provisionné quoi que ce soit, la Cour de cassation ayant, par son revirement inattendu, changé les règles du jeu.

Si la décision de la Cour de cassation est économiquement désastreuse, elle est surtout juridiquement critiquable. Elle ignore totalement l’équilibre du dispositif de protection sociale offert aux salariés malades (garantissant un niveau et une durée d’indemnisation conséquents), construit autour d’un modèle vertueux de solidarité, sans équivalent en Europe.

Saisi d’une QPC, le Conseil constitutionnel devait évaluer si les dispositions critiquées par la Cour de cassation étaient ou non constitutionnelles.

En quoi la décision du Conseil constitutionnel
préserve le système de santé français ?

Jusqu’aux débats qui ont eu lieu devant le Conseil constitutionnel, personne n’avait relevé ou fait valoir un élément pourtant déterminant. En effet, il apparaît totalement insuffisant d’examiner la protection de la santé offerte au salarié malade uniquement à travers la question de l’allocation ou non de quelques jours de congés payés au titre de son absence maladie. La question de la protection de la santé du salarié malade doit s’apprécier en prenant en compte toutes les composantes de l’accompagnement du salarié malade et, en particulier, le régime d’indemnisation des arrêts maladie. Le régime de protection sociale que l’on connaît en France constitue un trésor national. Il est essentiel de tout mettre en œuvre pour le préserver. L’octroi de jours de congés payés au cours de l’absence maladie met en péril l’équilibre d’un dispositif qui forge notre identité constitutionnelle française. La QPC portée devant le Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité des articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5° du code du travail a précisément donné l’occasion d’évoquer cette question.

En affirmant que les dispositions du code du travail ne méconnaissent pas le droit à la protection de la santé, le Conseil constitutionnel reconnaît cette spécificité française et appelle à la protéger.

Comment les Sages ont-ils motivé leur décision ?

Alors que beaucoup annonçaient que les dispositions du code du travail discutées devant le Conseil constitutionnel seraient invalidées, ce dernier affirme le contraire. Répondant aux arguments avancés par le requérant, le Conseil constitutionnel déclare que les dispositions présentées devant lui ne sont pas contraires aux principes constitutionnels d’égalité et de droit au repos. Mais, allant plus loin, la haute juridiction affirme que les dispositions critiquées permettent d’assurer la protection du droit à la santé, à valeur constitutionnelle. Il faut admettre que le Conseil constitutionnel a rendu une décision très explicite et forte de sens, à destination sans aucun doute des juridictions judiciaires et du législateur.

En effet, le Conseil constitutionnel ne formule aucun grief de défaut ou de manquement dans la transposition de la directive de 2003 par les articles du code du travail qui lui étaient soumis et n’évoque aucunement le droit européen. Il considère donc que les dispositions du code du travail, telles que nous les connaissons, assurent une transposition conforme des normes de l’Union (Cons. const. 27 juill. 2006, n° 2006-540 DC § 30). Or, c’est précisément le contraire qui est reproché par la Cour de cassation dans ses arrêts du 13 septembre dernier…

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel déclare solennellement que les dispositions du code du travail « ne méconnaissent pas non plus le droit à la protection de la santé, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ». Il affirme donc que ces règles sont constitutives de l’identité constitutionnelle de la France que le législateur doit préserver, ce qui justifie leur prévalence sur le droit de l’Union.

Cette décision dissipe-t-elle le doute ?

Dans le brouillard généré par les arrêts du 13 septembre 2023, le Conseil constitutionnel redonne un peu de lumière. Il ne faut pas oublier que ses décisions s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles… De façon très concrète, il invite la Cour de cassation à ne pas se retrancher derrière l’écran du droit de l’Union européenne pour ne pas faire application des prescriptions du code du travail en matière de non-acquisition de congés payés en cas de maladie. La reconnaissance d’une identité constitutionnelle française permet de faire primer le droit français sur toute norme de l’Union européenne… Le législateur avait annoncé qu’il attendrait la décision du Conseil constitutionnel avant de présenter sa réforme visant à assurer la conformité du droit français au droit de l’Union. Dans sa décision du 8 février, le Conseil constitutionnel lui fournit une réponse qui l’autorise… à ne rien changer ! Reste à savoir si le législateur va s’emparer de cette opportunité qui lui est offerte. Il est temps de retrouver un peu de sérénité et… de sécurité juridique. T