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À Bercy, quand l’économie se frotte au droit public

Par Anne Portmann

La direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère de l’Économie et des Finances, en partenariat avec l’université Paris-Panthéon-Assas a organisé, mercredi 1er octobre 2025, la première édition des rencontres du droit public économique, un rendez-vous annuel qui réunit praticiens de la sphère publique et privée et universitaires. Cette première journée d’échanges, très suivie, était placée sous le signe de la souveraineté économique.

C’est Clémence Olsina, directrice des affaires juridiques, qui a ouvert les travaux de ce « nouvel espace de réflexion et de dialogue », convaincue de ce que les praticiens et les universitaires peuvent accompagner les réflexions des responsables publics afin d’anticiper les grands bouleversements juridiques de l’époque. Stéphane Braconnier, président de l’université Paris-Panthéon-Assas a rappelé que les questions de souveraineté économique étaient « un repoussoir absolu » il y a quelques années, aux grandes heures de la mondialisation, et auraient été impossible à aborder. « Mais les temps ont changé », a-t-il lancé. Dressant rapidement le panorama de l’interventionnisme économique de l’État dans l’histoire, des resserrements et relâchements qui se succèdent, le professeur constate, qu’au fil du temps « Chaque guerre, chaque crise a rappelé la nécessité pour l’État d’intervenir dans l’économie ». En ces temps bousculés où la globalisation est présentée comme fragilisant la capacité des États à contrôler leurs flux économiques ou financiers, la souveraineté est à nouveau de mise.

Le thème de la journée a été décliné à travers quatre tables rondes, respectivement consacrées à la commande publique, au contrôle des investissements étrangers, à la valorisation des propriétés publiques et à la fiscalité.

Un cadre juridique à construire

Lors de la première table ronde, consacrée à la souveraineté et à la préférence dans la commande publique, il a été rappelé que les différents États de l’Union s’étaient mis d’accord sur la nécessité d’une préférence européenne. Cependant les textes européens ou nationaux ne comportent, pour le moment, pas d’expression claire d’une telle acception. Le débat subsiste néanmoins sur les secteurs stratégiques dans lesquels elle doit être appliquée, notamment dans le domaine du numérique, et sur la définition de la notion d’entreprise européenne. Grégory Kalflèche, professeur à l’université de Toulouse, avertit sur la tentation d’utiliser la souveraineté pour éliminer la concurrence en l’absence de cadre clair. Il appelle à la réflexion sur la notion de marché souverain. François Adam, directeur des achats de l’État, confirme la nécessité de bâtir des définitions robustes, qui pourront tenir dans le temps, ce qui ne semble pas être une mince affaire. « Il existe un important décalage entre les intentions et les outils à notre disposition », observe-t-il, appelant à définir un cadre juridique en la matière. Et de poser notamment la question des informations que l’acheteur public pourra exiger du candidat à l’appel d’offre et des critères de souveraineté. Thierry Dal Farra, avocat associé au sein du cabinet UGGC, soulève également l’hypothèse des évènements qui interviennent une fois le contrat conclu : que se passe-t-il en cas de changement d’actionnaires ?

Refonte du règlement de filtrage
des investissements

La deuxième table ronde, sur le contrôle des investissements étrangers en France (IEF), avait pour objet de décrire le dispositif français en la matière. Thomas Ernoult, chef du bureau du contrôle IEF à la direction générale du Trésor (DGT), a rappelé le champ d’application et la procédure de contrôle qui repose sur la déclaration volontaire. Il souligne que la DGT entend favoriser l’appropriation du régime par les acteurs du marché, afin de permettre aux investisseurs d’anticiper aux mieux leurs stratégies de déploiement. Il révèle qu’en 2024, son service a examiné 400 dossiers, soit 300 de plus qu’il y a 10 ans. Pierre Zelenko, associé de Linklaters, observe que dans la moitié des cas, les décisions autorisant l’investissement sont assorties de conditions, ce qui représente une proportion très importante par rapport aux autres critères dans une opération de M&A. Selon Michaël Colla, du service de l’information stratégique et de la sécurité économique (Sisse), il existe une liste d’entreprises stratégiques qui font l’objet d’une surveillance particulière. « La préservation de la souveraineté passe par la préservation de certaines entreprises, et cela plaît aux investisseurs », lance-t-il, précisant que ce sont des relations de confiance qui se nouent avec celles-ci et qu’il n’est pas question de s’immiscer dans leurs relations commerciales avec leurs clients.

Face à la refonte du Règlement filtrage, Francesco Martucci, professeur à l’université Paris-Panthéon-Assas, a précisé que pour l’Europe, l’heure n’était plus à l’ouverture naïve du marché international, mais à la recherche d’un équilibre entre marché et souveraineté. À cet égard, il pointe le paradoxe de la norme européenne, qui donnera aux États-membres une importante marge de manœuvre pour mettre en place un contrôle IEF, tout en les contraignant à mettre ce mécanisme en place. Arnaud de Nanteuil, professeur à l’université de Créteil, a souligné que les critères de contrôle des investissements étrangers étaient fixés par les États avec beaucoup de liberté, mais que partout, ils avaient tendance à se durcir, à voir leur champ élargi et les seuils abaissés. T