6e Grenelle du droit : époque de changements ou changement d’époque ?
Lundi 27 octobre 2025 a eu lieu la 6e édition du Grenelle du droit, qui rassemblait, dans les locaux de l’université Paris I, les représentants de l’écosystème juridique français. Ce rendez-vous, organisé par l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE), a été une nouvelle fois l’occasion d’inciter la communauté des juristes à œuvrer de concert. Morceaux choisis.
Dès l’ouverture de la journée, Soraya Messaï-Bahri, qui représentait Paris I, a dit la nécessité d’un élan collectif nécessaire aux professions juridiques et expliqué que, désormais, au sein de l’université, des enseignements sur l’IA étaient systématiquement dispensés aux étudiants en supplément des matières choisies, quelle que soit la filière. Jean-Philippe Gille, président de l’AFJE s’est réjoui de constater que dans l’assistance, au fur et à mesure des éditions, les magistrats étaient plus nombreux, soulignant l’importance de fédérer et rassembler un écosystème encore trop fragmenté afin de renforcer l’État de droit et l’attractivité du droit, face à une concurrence de plus en plus violente.
Le défi de l’IA
C’est d’abord sous le signe de l’essor de l’intelligence artificielle qu’a démarré cette journée, avec la première plénière consacrée à ce sujet, très suivie en dépit de la période des vacances. Olivier Chaduteau, fondateur du cabinet Day Two et fin observateur des changements du secteur juridique, qui animait cette table ronde, a questionné le panel qui représentait les différentes professions. Haffide Boulakras, directeur adjoint de l’École nationale de la magistrature (ENM) a insisté sur le sujet fondamental de la souveraineté, tandis que le représentant des notaires, Bertrand Savouré, président du Conseil supérieur du notariat (CSN), a mis l’accent sur l’inclusion, nécessaire pour ne pas avoir des professions à deux vitesses. Nathalie Dubois, qui représentait les juristes d’entreprise, a recommandé un rapprochement avec les éditeurs juridiques pour comprendre les mutations des modalités de recherche de l’information et plaidé pour le renforcement de « l’esprit critique », qui caractérise les juristes. Le président du CSN a averti que l’élargissement de la responsabilité des professionnels, induit par cette révolution, n’avait pas de sens si l’État n’offrait pas les moyens d’y faire face, notamment concernant la souveraineté de la donnée juridique sensible. « La gouvernance partagée est la clé », estime Haffide Boulakras, tandis que Nathalie Dubois a appelé de ses vœux la création d’un observatoire interprofessionnel des métiers du droit et de l’IA.
Le droit, instrument d’influence
La seconde plénière de l’après-midi posait la question de la nécessité, pour les professions d’œuvrer ensemble pour renforcer la filière juridique française. Le professeur Bruno Deffains a pointé qu’en réalité, le droit était une technologie de la confiance, qui constituait « l’infrastructure matérielle de la compétitivité nationale ». Isabelle Kosher de Leyritz, ancienne DG d’Engie et fondatrice de Bluenomy, autrice d’un rapport sur les entreprises à mission pour le Club des juristes, a rappelé le bouleversement majeur constitué par la prise de conscience de la finitude des ressources naturelles, qui appelle à faire des choix et à tout repenser : à prendre en compte les enjeux régionaux alors que nous avons appris à être globaux, à coopérer alors que nous avons appris à nous concurrencer, etc. Bruno Lasserre, président de la Fondation pour le droit continental, a renchéri en constatant que désormais, le droit, en plus de réguler, réparer, protéger et punir devait désormais inciter. « C’est le ferment de la confiance », estime-t-il, soulignant que le droit continental et en particulier le droit français dispose d’atouts d’accessibilité, de prévisibilité et d’équilibre qui lui donnent un avantage sur la common law. À cet égard, toutefois, Patrick Sayer, président du TAE de Paris et David Gordon-Krief, qui représente le barreau de Paris, déplorent les faibles moyens déployés pour la promotion du droit français et même européen sur le plan international, alors qu’Anglais et Américains « tentent de banaliser le droit civil avec une violence inouïe ». David Gordon-Krief a rappelé les effets désastreux du rapport « Doing Business » et les panélistes ont exhorté les juristes d’entreprise à promouvoir le droit français en l’imposant comme le droit applicable dans leur relations contractuelles. « Une vraie philosophie de l’action doit être mise en place » a insisté Patrick Sayer. Plus tard dans l’après-midi, au cours d’un atelier sur les risques géopolitiques, Philippe Perchoc, de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) et l’ancien ministre Matthias Fekl ont résumé : alors qu’au sortir de la 2e guerre mondiale on a tenté de tout dépolitiliser en élaborant des règles dans un cadre international, tout est de nouveau soudainement et brutalement politisé et les entreprises doivent prendre en compte ce risque, diffus et imprévisible. Les panélistes de cet atelier ont prédit un grand avenir au bilatéralisme, au détriment du multilatéralisme.
Anne Portmann