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15e colloque de la commission des sanctions de l’AMF : préserver l’équilibre

Par Anne Portmann

La commission des sanctions de l’AMF organisait, le 5 octobre 2022, au Palais Brongniart, son colloque annuel. Deux tables rondes étaient organisées, l’une consacrée aux questions autour du secret et des procédures répressives et l’autre à la régulation LCB-FT. Sur les débats, flottait une certaine inquiétude de l’Autorité qui a redit son attachement à son indépendance et la nécessité de préserver les moyens d’enquête de sa commission.

C’est Jean Gaeremynck, président de la commission des sanctions, qui a ouvert les débats, rappelant que l’indépendance de la commission des sanctions n’empêchait pas cette dernière de participer à la politique de régulation qui est la raison d’être de l’Autorité. Il a également dit le souci de la commission relatif à l’impact opérationnel de ses décisions sur l’activité des professionnels et sur les marchés et appelé de ses voeux à des échanges avec ses homologues sur les décisions rendues en matière répressive dans le but d’harmoniser les sanctions prononcées dans l’Union européenne.

Champ d’application du secret

Au cours de la première table ronde, le panel a abordé des questions très concrètes, particulièrement pour les entreprises. La directrice des enquêtes à l’AMF, Marianick Darnis- Lorca, et Stanislas Martin, rapporteur général de l’Autorité de la concurrence, ont évoqué leurs pratiques respectives en cas d’opération de visite et de saisie, notamment la question de la saisie des boîtes de messagerie électronique et de la mise à l’écart des messages couverts par le secret de la correspondance avocat-client. Le panel a détaillé la pratique, qui existe depuis 2014, de la demande de scellés fermés provisoires, permettant à l’entreprise saisie, avant tout examen du contenu des messages, de signaler quels sont les documents couverts par le secret afin qu’ils soient retirés de la boîte saisie. Cette procédure, qui n’est encadrée par aucun texte, est « librement proposée par les enquêteurs et acceptée par les entreprises » qui ne perdent pas, en cas de refus, la faculté de contester la production d’un document qui serait protégé. « Nous l’avions mise en place dans l’espoir de réduire les contentieux liés aux saisies de boîtes de messagerie, mais en réalité, nous avons juste créé une branche supplémentaire du droit : le contentieux des scellés fermés provisoires », a lancé Stanislas Martin. Jean-Yves Garaud, associé au sein du cabinet Cleary Gottlieb Steen & Hamilton a, quant à lui, estimé que le champ de la protection conférée par le secret était à géométrie variable. « La jurisprudence de la CJUE est plus favorable [à la défense] sur un certain nombre de secrets que le droit français » estime-t-il, considérant même qu’en fonction de l’autorité qui enquête, le secret est différemment protégé. Ainsi, le secret des affaires serait davantage pris en considération par le gendarme de la concurrence que par l’AMF, tandis que celui portant sur la vie privée et familiale serait considéré comme inopposable dans les deux cas. « Il y a des différences majeures entre les deux autorités et le pénal », a souligné l’avocat qui pointe les problèmes persistants d’absence de reconnaissance du secret du conseil. Stanislas Martin ne voit, pour sa part, pas de dichotomie entre le secret de la défense et le secret du conseil et indique que, devant les deux autorités, le conseil est protégé, dès lors qu’il est en lien avec une stratégie de défense. Jean-Yves Garaud, s’il a reconnu que les enquêteurs s’efforçaient, le plus souvent de concilier les principes relatifs au contradictoire et aux droits de la défense avec les objectifs de leur mission, dans un exercice d’équilibre assez complexe, a toutefois déploré le manque d’encadrement de ces pratiques et leur hétérogénéité.

Harmoniser les pratiques

Le voeu d’une homogénéisation des pratiques a également été formulé, cette fois au niveau européen, par les intervenants de la seconde table ronde, consacrée aux règles en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Le panel a rappelé la dimension internationale des acteurs assujettis à ces règles, de même que le caractère global des infractions liées au blanchiment et au terrorisme. Nicolas Spitz, associé du cabinet Spitz Poulle Kannan, a déploré la difficulté liée à la mise en oeuvre des attentes de l’ensemble des autorités de supervision, qui diffèrent selon les juridictions, donnant l’exemple de la notion de « dispositif adapté ou approprié » qui n’est pas interprété partout de la même manière. « La multiplicité des autorités ne facilite pas les choses », a pointé l’avocat qui observe qu’une déclaration de soupçon considérée comme conforme par Tracfin ne conviendra pas à une autre autorité. Alban Genais, directeur adjoint de Tracfin, s’est quant à lui félicité de ce que le dernier rapport d’évaluation de la conformité technique aux Recommandations du GAFI ait conclu que la France arrivait au troisième rang des « bons élèves » derrière l’Espagne et le Royaume-Uni. L’organisme international a même, dans son rapport, salué le rôle de l’ACPR et de l’AMF sur plusieurs points : l’amélioration de la compréhension du rôle de la LCB-FT, l’efficacité des contrôles et la bonne compréhension des risques liés aux cryptoactifs. Alban Genais a aussi rappelé les modalités de collaboration entre Tracfin et les deux autorités, avec la transmission spontanée par l’organisme national de données relatives à des déclarations de soupçon qui permettent d’engager les poursuites. En matière de sanctions liées à la LCB-FT, les griefs les plus récurrents seraient d’ailleurs liés au défaut dans le recueil des informations. C’est Benoît de Juvigny, secrétaire général de l’AMF, qui a clôturé ce colloque, en l’absence de Marie-Anne Barbat-Layani, probable future présidente de l’Autorité encore en attente de sa nomination par le Parlement. Soulignant la difficile conciliation entre les exigences liées à l’efficacité des enquêtes et la préservation des droits de la défense, il a fait part de ses inquiétudes relatives aux moyens d’action des enquêteurs. En effet, l’accès aux fadettes est désormais questionné par la CJUE et les visites domiciliaires, qui font l’objet de nombreux contentieux, devraient donner lieu à une importante décision de la Cour de cassation dans les prochaines semaines, relative à la notion d’« occupant des lieux ». Face à ces restrictions, le secrétaire général a dit sa détermination à préserver sa capacité d’enquêter pour sanctionner les contrevenants.