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14e édition du Business & Legal Forum : une journée de débats marqués par l’international

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Le Business & Legal Forum avait lieu le 20 octobre dernier, au Salon des Arts & Métiers, à Paris. Une quatorzième édition à succès pour ce think tank participatif de l’entreprise et du droit, dont la LJA est partenaire. Retour sur une belle journée de débats avec, au coeur des préoccupations, l’environnement international.

Ce sont près de 340 personnes qui se sont déplacées pour cette nouvelle édition du Business & Legal Forum. Dans un environnement géopolitique pour le moins bousculé, les débats ont laissé la part belle aux problématiques internationales et d’harmonisation des règles au niveau global. Dès le début de la matinée, lors d’une table ronde consacrée à l’autorégulation des entreprises, a été abordée la question de l’internationalisation croissante des nombreuses règles auxquelles sont désormais soumises les entreprises. Ces dernières doivent aujourd’hui être « juges » de leurs activités et avoir une vision globale de leurs enjeux de développements et des risques y afférents. En définitive, elles doivent apprendre à s’autocontrôler ainsi que leurs parties prenantes, dans un univers mondialisé. Jérôme Simon, premier vice-procureur financier en charge du groupe sur les atteintes à la probité au sein du PNF, a été interrogé dès le début de la conférence sur ce que les autorités de poursuite attendent de la part des entreprises dans le cadre d’une CJIP, les autres intervenants lui faisant le reproche à peine voilé d’un transfert de la charge des enquêtes à mener auprès des sous-traitants et des filiales à l’étranger.

« Cette enquête interne n’est pas prévue par la loi », ont observé les panélistes. Le représentant du parquet a fait valoir que l’autorité de poursuite judiciaire, qui travaillait sur une base légale, n’avait pas créé d’obligation pour les entreprises de mettre en place des enquêtes internes, terme qu’il réfute au demeurant car il introduirait une confusion avec celui de l’enquête judiciaire. Il lui a tout de même semblé très satisfaisant que les entreprises mènent des audits, des enquêtes ou des investigations internes, soulignant que ce type de pratiques existe déjà à l’étranger. Il rappelle d’ailleurs, qu’en cas de poursuites judiciaires, il n’existe aucun droit pour l’entreprise à bénéficier d’une CJIP et que cette dernière ne saurait en revendiquer le bénéfice du fait de la seule mise en place d’une procédure interne.

Ce mode de règlement se mérite par la coopération de l’entreprise poursuivie et sa bonne foi, a-t-il lancé, en rappelant que le recours à une enquête interne et sa communication peuvent toutefois être des éléments en faveur de l’entreprise. Compte tenu du caractère multi juridictionnel de ces procédures, le magistrat considère qu’il est préférable pour les entreprises de se positionner pour être soumis aux poursuites du régulateur français plutôt que d’un régulateur étranger, qui pourrait les sanctionner plus sévèrement.

Anticiper la concurrence entre autorités nationales et internationales

Cette question de compétence des autorités dans un cadre extraterritorial a également animé les débats de la table ronde sur le devoir de vigilance. Car un projet de directive de l’Union européenne viendra prochainement modifier le périmètre d’action des entreprises. Sur la base de la loi française sur le devoir de vigilance, de nouvelles obligations risquent d’impacter leur business model et leur compétitivité sur les marchés internationaux. Selon Philippe Portier, associé au sein du cabinet Jeantet, le texte européen comble certaines lacunes du droit français. D’abord son champ d’application est plus large puisqu’il est envisagé que la directive s’applique aux entreprises qui emploient 500 salariés et ont un chiffre d’affaires de 150 M€. Le texte prévoit également la création d’une autorité de contrôle et de supervision. Mais comment concilier son action avec celle des autorités nationales ? Alice Navarro, directrice adjointe de l’AFA, a pointé quelques difficultés quant à la détermination de l’autorité de poursuite compétente et de la loi applicable. Choisira-t-on la voie de l’harmonisation au niveau européen ou laissera-t-on les États s’approprier le texte ? Jean-Marie Gauvain, directeur conformité du groupe Casino, et Emmanuel Rollin, directeur conformité de l’entreprise Colas, ont étendu l’analyse au rôle trouble des ONG, en pointant la tentation, pour ces dernières, de saisir les autorités nationales les plus sévères.

Sauvegarder l’intérêt des entreprises françaises dans un nouvel ordre mondial

Dans cette nouvelle donne de concurrence entre législations et autorités, comment les entreprises peuvent-elles tirer leur épingle du jeu et utiliser les outils que les droits leur proposent ? Lors de la table ronde sur les contentieux internationaux, Jacques Sivignon, associé de la firme Dechert, a rappelé l’opportunité qu’offre l’article 1782 de l’United States code concernant la production de preuves (discovery) aux États-Unis dans le but d’appuyer des procédures légales qui se déroulent en dehors du territoire US. Il permet d’obtenir d’un juge américain une injonction, faite à une personne physique ou morale, de se soumettre à une discovery. La demande d’informations peut être large : elle peut par exemple porter sur le recueil des données Outlook, Teams ou encore WhatsApp (ces dernières étant les plus utiles aux enquêteurs car le ton des échanges est bien souvent dépourvu de filtre), ou sur la déposition d’un témoin américain pour nourrir un dossier en France. « C’est une source considérable d’informations pour muscler des moyens dans les contentieux internationaux », a-t-il été indiqué. Mais si la menace de discovery pèse sur une entreprise française, les sociétés peuvent-elles invoquer la loi de blocage ? Face à la pression exercée par les autorités américaines, deux arrêtés ont été publiés en 2022 créant le Service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE), chargé de jouer un rôle de filtre en cas de demande de communication d’informations. Le SISSE a un mois pour statuer si la loi de blocage s’applique, ou pas, au cas d’espèce. « C’est un outil de sécurité pour les entreprises », a témoigné un directeur juridique d’un groupe français positionné à l’international qui a salué l’efficacité du service dans un dossier qu’il a récemment connu. Il a également été rappelé que préalablement à la création du SISSE, dans le cas de l’affaire Airbus, les informations sensibles ont transité par le PNF avant d’être transmises aux autorités américaines. La France a donc appris à fourbir ses armes défensives pour sauvegarder la compétitivité de ses entreprises et le secret des affaires.

Acuité des questions de souveraineté

C’est ce même constat positif qui a survolé les débats de la conférence plénière, car l’Union européenne est, elle aussi, clairement passée à l’offensive pour défendre sa souveraineté économique. Et de l’avis général, la tendance est encore plus nette depuis l’accession à la présidence de la Commission européenne d’Ursula van der Leyen. En témoignent deux importants projets de règlement qui entreront en vigueur prochainement, celui du Digital Market Act (DMA) et du Digital Services Act (DSA). « Ces textes, relatifs à la souveraineté numérique, composante de la souveraineté économique, qui imposent des obligations aux entreprises et aux citoyens européens ne sont plus seulement défensifs, mais aussi offensifs », a-t-il été observé. Johanna Ghorayeb, représentante de la Direction des affaires civiles et du Sceau, s’est félicitée de la prise de conscience par les instances européennes de l’importance du droit en tant qu’outil stratégique, en complément de la finance. Car l’action des autorités de sanction est désormais insuffisante à assurer la régulation complète du marché au niveau global. L’impératif de régulation est aujourd’hui si large qu’il faut accompagner les entreprises autrement, avec des instruments de prévention, ce qui constitue un véritable changement de paradigme. Autre bon point à mettre au crédit de l’Union européenne : sa réaction sans précédent dans le cadre d’un conflit international. Pour contrer l’invasion du territoire ukrainien par les troupes russes, l’UE a voté pas moins de huit paquets de sanctions depuis le 23 février 2022. « Elles ont été établies en un temps record et fort d’une coordination exemplaire entre alliés », a-t-il été lancé lors de la table ronde sur les sanctions internationales. Mais cette accumulation et l’imprédictibilité des mesures prononcées – les dernières introduisant par exemple un critère de désignation permettant de sanctionner des pays tiers – ont constitué un véritable casse-tête pour les entreprises européennes qui ont dû adapter leur stratégie de développement et leur business quotidien.

Et pour ne prendre aucun risque de sanction, certains acteurs économiques ont parfois choisi de bloquer purement et simplement tout ce qui a trait de près ou de lien avec le territoire russe. « Il ne faut pas être plus royaliste que le roi dans l’application des sanctions », a-t-on entendu à l’égard de l’attitude de certaines banques qui bloquent toutes transactions. Éric Percheron, directeur du pôle juridique et conformité de l’Office de coordination bancaire et financière, s’est inscrit en faux rappelant que les banquiers n’empêchaient jamais leurs clients de développer leur business mais, fort de leurs équipes d’analystes très pointues, ils étaient plutôt les garants de la sécurité permettant d’empêcher les entreprises de « tomber dans le trou ». Pour les groupes européens qui ont choisi de continuer à avoir des activités en Russie, ils ont été contraints d’adapter leur communication externe en urgence.

Rappelant que, selon un sondage réalisé au début de la guerre, 51 % des Français souhaitaient boycotter les entreprises qui restaient sur le territoire russe, Stéphanie Prunier, associée d’Havas et fondatrice d’Havas Legal & Litigation, a dressé ses recommandations pour gérer la problématique d’image. Selon elle, la sincérité et l’efficacité de l’action de l’entreprise permet à la marque de récupérer beaucoup de good will. Un regret a néanmoins été soulevé par un directeur juridique d’un grand groupe international : les régimes de sanctions prononcées n’ont pas tenu compte du fait que certains groupes étaient déjà implantés en Russie et avaient des collaborateurs sur place qui ont rapidement été considérés par les autorités locales comme des espions. Il a fallu les sortir du territoire, parfois dans des conditions extrêmement tendues. Une situation qu’on n’imaginait pas se reproduire au XXIe siècle.