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Relations entre associés : pour en finir avec la peur du conflit

Par Anne Girard
Première partie

Même dans les cabinets les plus inventifs et dynamiques dans la réflexion sur la stratégie, le positionnement, l’avenir de la profession, le passage à l’action ou la mise en œuvre des décisions peuvent être des changements difficiles à vivre pour les associés. On parle souvent de « résistance au changement » ou d’ «inertie ». Mais, quand on creuse un peu, on commence à entrevoir d’autres raisons plus profondes. Parmi elles, la peur du conflit. Dans l’imaginaire (et dans l’expérience !) de nombreux avocats, le conflit mène inévitablement à la rupture de la relation (départs, scissions, etc.). Pour éviter d’en arriver à cette situation extrême, les associés vont préférer éluder les conflits que peut  générer la mise en place des changements qu’ils ont pourtant imaginés, voire souhaités. Voilà pourquoi il est crucial de se pencher, lorsqu’on travaille sur un projet de cabinet, sur le sujet du conflit et de la façon de gérer un conflit au sein du groupe d’associés. Ce sera le propos d’une série de deux fiches-pratiques. La première portera sur les mécanismes qui nous empêchent d’aborder un conflit de façon sereine et la seconde sur les 5 modes de gestion d’un conflit, selon K. W. Thomas et R. H. Kilmann.

Définition du conflit : l’importance de la subjectivité
On entend par « conflit »  toute situation où les préoccupations de deux parties semblent incompatibles. Notons que cette définition intègre une dimension subjective puisque à l’origine, l’incompatibilité est une supposition. Cette supposition peut être le produit :
- de l’expérience : « Mon associé a déjà rechigné par le passé à me présenter ses clients, donc je doute qu’il accepte de m’inviter au petit-déjeuner client qu’il va organiser » ;
- d’une simple absence de communication : « je pensais que mon associé allait voter contre l’ouverture d’un bureau à l’étranger car sa pratique est uniquement nationale. Je n’avais jamais évoqué le sujet avec elle et j’ai donc été surpris de son soutien » ;
- d’une absence de vérification factuelle sur « l’incompatibilité ». Il existe souvent des a priori sur le fait que deux préoccupations ne peuvent pas converger. Certaines personnes, lorsqu’elles abordent une situation, perçoivent d’abord ce qui diverge et sépare avant de discerner les points communs. Si l’analyse n’est pas complète, on en retiendra, à tort, un risque de conflit élevé.

Différentes raisons pour fuir les conflits
Selon notre profil psychologique et notre histoire personnelle, nous avons diverses croyances sur le conflit. Ces dernières vont conditionner notre état d’esprit et notre comportement vis-à-vis d’un conflit spécifique et en particulier le refus de se confronter à la situation conflictuelle. Nous pouvons donc être en fuite par :
-peur des réactions émotionnelles (les nôtres et celles des autres) et de leur impact sur la qualité de la relation ;
- peur de l’incertitude : nous ne savons pas où le conflit peut nous amener ;
-besoin de tranquillité : nous avons autre chose à faire ;
-faible niveau d’engagement dans la relation : si la relation ne nous intéresse pas, nous n’allons pas faire d’effort pour tenter de résoudre le conflit et nous préférerons « suspendre » la relation.
Dans un groupe d’associés, le dernier point est particulièrement problématique puisqu’il mène immanquablement à une rupture dans l’affectio societatis. Il n’est pas rare de voir des associés qui ne viennent jamais aux réunions d’associés, ne répondent pas aux demandes d’informations, ne suivent pas les procédures de base etc. La peur du conflit, lorsqu’elle est trop aigüe, amène la personne à s’isoler. Elle devient alors psychologiquement incapable de coopérer au sein d’un groupe.


La difficulté – qu’elle soit d’origine psychologique ou culturelle –  à accepter les émotions fortes et leurs expressions (larmes, ton de la voix, gestes…) est également très courante



La difficulté – qu’elle soit d’origine psychologique ou culturelle –  à accepter les émotions fortes et leurs expressions (larmes, ton de la voix, gestes…) est également très courante. La gêne, l’embarras, la peur de paraître faible ou vulnérable, sont à l’origine de stratégies d’évitement des conflits. Avec une conséquence immédiate : la discussion sur le sujet potentiellement conflictuel est reporté ou « caché sous le tapis ». Aucune décision n’est prise. On attendra le mois (ou l’année) prochain(e)…

Comment lever les obstacles ?
C’est la conviction qu’il existe (toujours) une solution qui peut motiver les associés vers une nouvelle façon d’envisager les conflits et leur gestion. Il peut même arriver que le conflit, bien géré, soit une source d’amélioration des relations : au cours du processus d’échange et de recherche d’une solution, les associés se découvrent, lèvent des malentendus et mûrissent dans leur réflexion. De telles expériences positives permettent de débloquer les situations.
Cette conviction est parfois malheureusement ébranlée par l’idée que la gestion des conflits est coûteuse en temps et aléatoire quant à l’issue. C’est la raison pour laquelle un apprentissage est nécessaire.Cet apprentissage passe par 3 étapes :

- Étape 1 : comprendre que notre façon d’aborder un conflit est le fruit d’une préférence liée à notre personnalité,notre histoire et d’une habitude (ou d’un réflexe). Cette habitude nous entraîne à apporter une réponse automatique face à tout ce qui peut ressembler à un conflit. Par exemple, si notre préférence est la fuite, dès que le ton va monter, nous allons « fuir », parfois même sans nous en rendre compte (sortir de la pièce, focaliser notre attention sur un autre sujet, sortir notre téléphone, etc.)


- Étape 2 : accepter que la réponse que nous apportons spontanément n’est pas toujours adaptée et qu’elle peut entraîner une situation encore plus conflictuelle, avec des dommages plus importants. Nous avons donc tout intérêt à prendre du recul au lieu de réagir immédiatement, pour choisir le mode de gestion du conflit qui sera le plus approprié.

- Étape 3 : connaître les 5 modes de gestion des conflits et s’entraîner à les pratiquer. Bien évidemment, un apprentissage collectif par tous les associés aura un impact plus important et plus rapide. Ces 5 modes de collaboration sont :

- rivaliser ;
- collaborer ;
- chercher un compromis ;
- éviter ;
- céder.

Nous en ferons une présentation détaillée dans la seconde fiche pratique.

Lire la seconde partie


 

 
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