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Dépasser le « plafond de verre »… comment s’y prendre ?

Par Anne Girard pour Seenago

Apparue aux Etats-Unis il y a déjà plusieurs décennies, l’expression « plafond de verre » (glass ceiling) désignait à l’origine les obstacles rencontrés par les femmes pour accéder à des postes élevés dans la hiérarchie professionnelle. Aujourd’hui, elle est couramment utilisée, en France et ailleurs, à propos de difficultés semblables rencontrées par d’autres groupes et en particulier les minorités ethniques et culturelles.

Cette fiche pratique n’a pas pour objectif d’énumérer les différentes causes attribuées par les chercheurs à ce phénomène, mais plutôt de proposer une réflexion – à portée individuelle  et non statistique – sur la question de l’évolution professionnelle en cabinet d’avocats.
Ici, le « plafond de verre » ne concernera donc pas uniquement les femmes mais toute personne susceptible ou souhaitant évoluer et qui se retrouve, à un moment de sa carrière, en situation de blocage. On pense notamment à des avocats qui buttent devant l’accession à l’association et dont certains se trouvent parfois contraints d’accepter des postes de « of counsel » ou équivalents. Mais on pense également au personnel administratif ou de support, qu’il s’agisse, par exemple, d’un responsable marketing ayant des difficultés à évoluer vers un poste de secrétaire général ou, toujours à titre d’illustration,  d’une assistante vers une fonction services généraux, RH ou communication…

1. Reconnaître le « plafond de verre »

La métaphore, très parlante, a le mérite de mettre l’accent sur le caractère invisible de ces barrières. Celles-ci sont en effet dites « invisibles » pour plusieurs raisons. D’une part, elles sont créées ou générées par des comportements ou des pratiques plus que par des règles juridiques. Par exemple, l’habitude qui consiste à organiser des réunions importantes tard le soir ou le week-end peut défavoriser certaines personnes dont le domicile est éloigné du cabinet ou dont la vie familiale ne peut s’organiser autour de ce rythme. Dès lors, si une moindre participation à ces réunions empêche la progression ou la contribution aux décisions, on peut parler ici d’un obstacle contribuant à la formation d’un plafond de verre. Mais sans un examen attentif de ces pratiques, il sera impossible d’observer spontanément que celles-ci constituent une réelle difficulté pour certaines personnes.
D’autre part, il nous faut comprendre (et accepter) que nous contribuons inconsciemment à la construction de notre propre « plafond de verre ». En d’autres termes, il est presque toujours, dans un premier temps, invisible à nos propres yeux… Pourquoi ? Parce que nous avons chacun des perceptions ou représentations de nous-mêmes qui restreignent notre champ des possibles. Les sociologues français et anglo-saxons ont beaucoup travaillé sur ces mécanismes « auto-limitants » ou ces phénomènes d’auto-exclusion. Nos trajectoires professionnelles autant que nos sensibilités personnelles nous font appréhender la réalité sociale d’une certaine façon et conditionnent donc la vision que nous avons de notre évolution professionnelle. Les obstacles contribuant à la formation d’un « plafond de verre » ne sont donc pas uniquement d’ordre organisationnel, extérieur à nous. En d’autres termes, pour avancer, nous devons prendre conscience de notre façon d’appréhender notre environnement professionnel et les personnes avec lesquelles nous travaillons.
Il s’agit donc de reconnaître le plafond ou, pour le dire autrement, de constater qu’il n’est plus tout à fait transparent…

2. Identifier précisément les obstacles

Dans un second temps, il est nécessaire de se poser la question « de quoi est constitué notre plafond de verre ? » On distinguera ici deux catégories d’obstacles.
Dans une première catégorie, les barrières que nous créons nous-mêmes et dans une seconde catégorie, les obstacles qui relèvent de l’organisation. L’intérêt de cette distinction est qu’au cours d’une réflexion approfondie, éventuellement avec l’aide d’un consultant ou d’un coach, nous commençons souvent par lister les obstacles dans la seconde catégorie… qui se remplit toujours beaucoup plus facilement que la première ! Or l’enjeu, ici est de comprendre que nous projetons souvent nos propres limites sur notre environnement extérieur. Un cas classique et malheureusement trop fréquent est la question des augmentations ou de la formation. Certaines personnes, interrogées sur les raisons pour lesquelles elles n’ont pas été augmentées ou n’ont pas pu se former, commencent dans un premier temps par dire que cela leur a été refusé (obstacle perçu comme d’ordre organisationnel, externe, dans un premier temps). En approfondissant le sujet, on réalise parfois que le refus n’est pas explicite… en fait, la demande n’a jamais été posée. Pas de demande, pas de refus… mais pas d’augmentation ni de formation. Donc l’obstacle réside ici autant dans les pratiques managériales que chez la personne.
La réflexion sur les obstacles permet en réalité une réflexion sur ce qui peut changer, ce que nous pouvons changer, en modifiant nos comportements, et, notamment, en formulant des attentes plus claires, en communiquant plus et mieux. Au terme de cette réflexion, il arrive souvent que l’on commence à considérer notre plafond de verre non plus comme une fatalité mais comme un défi à relever. Nous retrouvons une capacité de choix au lieu de subir une situation « bloquante ».

3. Surmonter les obstacles

Dans un troisième temps, se pose toujours la question du « comment ? ». Paradoxalement, c’est l’étape la plus naturelle, celle de l’apprentissage : apprentissage de nouvelles façons de communiquer, acquisition de nouvelles compétences techniques, managériales ou commerciales, gestion maîtrisée de ses émotions… la liste est longue et directement reliée aux obstacles spécifiques qui auront été identifiés par chaque personne en fonction du contexte dans lequel elle se trouve.
Au moment d’aborder cette troisième phase, nombreux sont ceux qui demandent (ou se demandent) : « je suis d’accord pour changer mais est-ce que les règles du jeu vont changer ? ». Certaines personnes peuvent être tentées de pratiquer le « donnant-donnant » : « je changerai si vous changez ». Un exemple typique est celui d’un collaborateur senior qui explique : « j’apporterai de nouveaux clients au cabinet si vous me rémunérez pour cela ou si vous me promettez un poste d’associé ». Dans cette situation, pour dépasser le plafond de verre il faut d’abord comprendre que l’apport de clientèle n’est pas quelque chose qu’on fait pour le cabinet mais d’abord pour soi. En effet, si le groupe d’associés n’est pas en situation ou en capacité de reconnaître la contribution d’un collaborateur senior au développement de clientèle, celui-ci aura toujours la possibilité d’aller exercer ailleurs. Car un bon développeur reste un bon développeur… et aura toujours du succès, seul ou en équipe. En revanche, le « donnant-donnant » est en réalité une situation « perdant-perdant » puisque le collaborateur continue à produire pour le cabinet, acquérant plus d’ancienneté avec une rémunération en augmentation sans pour autant étendre le champ de ses compétences au-delà du droit.
Surmonter l’obstacle commence donc par oser prendre l’initiative de changer sans attendre que l’environnement extérieur se modifie. Prendre l’initiative peut d’ailleurs consister à changer de lieu d’exercice professionnel car celui-ci contribue à la création d’un plafond de verre trop important en verrouillant fortement l’évolution professionnelle des individus.

En tout état de cause, dépasser le plafond de verre relève d’un travail de croissance personnelle et professionnelle qui met en jeu non seulement notre propre carrière mais aussi la construction d’organisations ou d’environnement professionnel plus propices à l’évolution de chacun. En effet, nombreux sont les associés ou dirigeants qui, ayant effectué une telle démarche pour eux-mêmes, permettent ensuite à leurs équipes et à leurs collaborateurs de progresser créant ainsi les véritables conditions de succès et de pérennité pour les cabinets qu’ils dirigent.