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Vers l’ouverture du capital des cabinets d’avocats aux non avocats ?

Par Olivier Chaduteau - Day One

Le 21 mai 2007, le cabinet australien Slater & Gordon Ltd s’introduisait en Bourse, suivi en août par Integrated Legal Holdings Ltd (ILH)… Au Royaume-Uni, le Clementi report, recommandant l’ouverture du capital des cabinets d’avocats à des non-avocats, a été voté fin octobre 2007 (Legal Services Act) et entre en application à partir de 2008… Quelles implications ces évolutions vont-elles avoir sur la stratégie et le financement des cabinets d’avocats français ?

C’est l’objet de l’étude que nous venons de réaliser auprès des 100 plus gros cabinets d’avocats d’affaires français par chiffre d’affaires. Les avocats répondants sont issus de cabinets aux profils très hétérogènes : « Bigs 4 », français, américains, anglais, membres d’un réseau ou non, cabinets généralistes, cabinets de niche, petits cabinets ou très gros cabinets (en termes d’effectifs).
Cette étude sur « l’ouverture du capital des cabinets d’avocats aux non-avocats » apporte un éclairage surprenant sur l’évolution des cabinets d’avocats d’affaires en France.


53% avocats d'affaires français favorables à l’ouverture du capital à des non-avocats

Principal enseignement de cette étude, les avocats d'affaires français seraient favorables à 53,2% à l’ouverture minoritaire du capital des cabinets à des non-avocats. En revanche, ils sont opposés à une ouverture majoritaire. A bien observer, il semble que les premières opérations d’ouverture dans le monde concernent dans un premier temps les cabinets de petites tailles ou de tailles moyennes ayant parfaitement bien structuré voire industrialisé leurs processus de production vers une clientèle de particuliers. On pourrait très bien imaginer qu’une compagnie d’assurance ou une grande banque acquièrent à terme des cabinets d’avocats pour les intégrer à leur offre à destinations des particuliers. D’ores et déjà, les grandes compagnies d’assurance mais aussi les courtiers d’assurance créent des structures de conseil ; la prochaine étape pourrait bien concerner les avocats.


Les avantages de l’ouverture aux non-avocats

Quatre principales raisons expliquent cette position. D’une part, l’ouverture va permettre :
1 - « d’améliorer la capacité de développement » (rapprochements, croissance externe, marketing et relation clients),
2 - le « développement à l’international »,
3 - « l’amélioration des méthodes de gestion du cabinet » (amélioration de la gouvernance, professionnalisation des fonctions supports du cabinet),
4 - « de faciliter la fidélisation et la motivation des équipes, tant les professionnels que les fonctions supports, ces dernières pouvant dès lors accéder aux fonctions de management et autre comité de direction".
Les partenaires idéaux dans cette montée au capital des cabinets restent les professionnels du droit (juristes et notaires), suivis des consultants et des experts-comptables.
Pour les avocats favorables, l’ouverture doit s’opérer prioritairement, avec 80% et plus d’avis favorables, vers les professions connexes du droit (juristes (84,2%), notaires (79,2%)) et les consultants (81%). Parmi ceux-ci, on peut citer les conseils en propriété industrielle, dont le rapprochement avec les avocats est un sujet actuel. Les experts-comptables (72% d’avis favorables) apparaissent également comme des partenaires complémentaires, à condition bien entendu de ne pas être commissaires aux comptes. Enfin, les fonctions supports sont également considérées comme des partenaires potentiels, ce qui reflète leur montée en puissance dans les cabinets de services professionnels, et plus particulièrement les cabinets d’avocats, notamment les fonctions « marketing et business development », « finances » et « direction générale ». A ce titre, 56,2% seraient prêts à envisager un binôme avocat / non-avocat à la direction de leur cabinet


67% des avocats d'affaires français favorables à l’interprofessionnalité

Les 2/3 des avocats répondants sont favorables à l’interprofessionnalité. Néanmoins, ce chiffre varie fortement selon que l’avocat est favorable ou non à l’ouverture du capital. Les ¾ des avocats favorables à l’ouverture sont également favorables à l’interprofessionnalité, car elle permet de proposer une offre élargie et complémentaire qui répond à une véritable attente et demande du marché. En revanche, une majorité (55%) des avocats qui ne sont pas favorables à l’ouverture du capital ne sont également pas favorables à l’interprofessionnalité en raison principalement des conflits d’intérêts et des expériences infructueuses du passé.


Les principaux freins à l’ouverture du capital à des non-avocats

Deux principales raisons peuvent expliquer la résistance à l’ouverture du capital. D’une part, le « risque de mettre à mal les valeurs premières de l’avocat », c’est-à-dire l’indépendance, le secret professionnel et les conflits d’intérêts qui sont brandis en étendard, principalement par les avocats défavorables à l’ouverture. L’autre frein apparu dans cette étude est le « risque de prééminence du financier sur le juridique et le client », des choix dictés par des priorités financières, la recherche de la rentabilité à court terme, la rémunération au détriment de l’investissement, la spéculation. Ce dernier frein est plus particulièrement mis en avant par les avocats favorables à l’ouverture du capital à des non-avocats.


Les avocats d’affaires majoritairement opposés à la cotation des cabinets

En revanche, les deux récents exemples de cotations de cabinets d’avocats en Australie ne semblent pas avoir convaincu les avocats français pour le moment. En effet, les ¾ des avocats répondants sont défavorables à la cotation (même si les avocats favorables à l’ouverture minoritaire y sont moins hostiles). Deux raisons principales expliquent cette hostilité : d’une part, la « perte d’indépendance » ; d’autre part, « l’obligation d’une rentabilité à court terme ». En filigrane émarge le sentiment d’une profonde incompatibilité de la cotation avec les spécificités du métier d’avocat (secret professionnel, conflits d’intérêts…). Néanmoins, les avocats favorables à l’ouverture du capital jugent l’impact de la cotation plutôt positif (38%) ou neutre (33%), alors que les avocats défavorables à l’ouverture du capital expriment un refus catégorique : 75% considèrent l’impact comme négatif et 0% considère l’impact comme positif.


La satisfaction-client comme principal critère de valorisation des cabinets

Pour les avocats répondants, les deux principaux critères de valorisation sont la « satisfaction client » et le « chiffre d’affaires récurrent ». Ce qui s’explique : plus le client est satisfait, plus il a tendance à continuer à travailler avec le cabinet, d’où la récurrence du chiffre d’affaires. L’importance accordée au client dans la valorisation du cabinet est symptomatique de la prise de conscience de plus en plus forte de l’actif client par les cabinets de services professionnels, et spécifiquement des cabinets d’avocats, constatée depuis 3 ou 4 ans avec la mise en place d’études de satisfaction, d’analyse de portefeuille clients, ou encore d’organisation par compte clé, qui visent à écouter les clients et à améliorer la qualité d’un service plus personnalisé.


Prospective : les avocats d’affaires n’envisagent pas d’évolution réglementaire significative dans le futur concernant l’ouverture du capital à des non-avocats
Pour les avocats répondants, l’ouverture du capital vers les non-avocats n’est pas à prévoir dans un futur proche ou alors l’évolution sera très lente. Ils l’expliquent par le corporatisme de la profession et la résistance du marché (ordres, organisations professionnelles, chancellerie). Par ailleurs, ils n’envisagent qu’un impact modeste sur le marché français des évolutions réglementaires sur les autres marchés du droit (anglais, européens, américains, australiens). Pour preuve, plus de la moitié des avocats répondants pensent que le « Legal Services Act » n’aura aucun impact sur les cabinets d’avocats d’affaires en France.
Toutefois, si l’on regarde les réflexions de la Commission européenne sur ces mêmes problématiques d’ouverture pour les métiers de l’audit (« Oxera report »), l’évolution des métiers de la banque d’affaires, du conseil et, dernièrement, du conseil en propriété industrielle (introduction récente en bourse en Angleterre), et récemment les exemples australien et bientôt britannique, force est de constater qu’un nouveau paradigme s’ouvre pour les professions réglementées et les services professionnels.

Les enjeux les plus importants pour ces métiers réglementés restent après tout de conserver un réel service objectif, indépendant et surtout au plus près des préoccupations de leur client, et cela, ce n’est pas la structure actionnariale qui le décide mais bien le « business model » et l’éthique des professionnels. Au final, le juge de paix reste et doit rester le client.