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Les directeurs juridiques, gestionnaires de la dépense juridique

Par Delphine Iweins
La septième édition de la Journée du management juridique, organisée par le Village de la Justice le 27 juin, a été l’occasion de donner des conseils aux directeurs juridiques présents pour gérer au mieux le budget de leur département.

Malgré des risques juridiques de plus en plus accrus, les directions générales exigent des directeurs juridiques qu’ils s’impliquent dans les dépenses de l’entreprise. De fait, ces dix dernières années, les contraintes budgétaires et la nécessaire compétitivité ont amené les juristes à collaborer à une dynamique de gestion. « On nous demande de plus en plus de regarder la dépense juridique. Elle fait même partie de nos objectifs personnels », confirme Catherine Maguire-Vielle, vice-président, assistant general counsel costumer & market de Carlson Wagonlit Travel.

Identifier les centres de coûts
Néanmoins, avant de gérer son budget, il faut connaître l’ensemble de ses coûts. Or, très peu de directeurs juridiques ont une connaissance précise de leurs coûts et sont capables d’assurer un véritable pilotage. Il est toujours difficile, dans les grands groupes particulièrement, d’identifier les coûts des cabinets d’avocats, par exemple. « Le pilotage est possible à condition d’avoir l’information. Aucune dépense juridique externe ne doit être faite sans l’aval de la direction juridique », recommande Pierre Charreton, ancien directeur juridique, aujourd’hui dirigeant de Pierre Charreton Conseil.

Les directeurs juridiques rencontrent aussi le problème des frontières de la dépense. En effet, la compliance et même les juristes ne sont pas toujours rattachés à la direction juridique ; ils peuvent dépendre des ressources humaines ou bien encore de la direction des affaires financières. « Il faut vraiment savoir sur quel périmètre précis les coûts vont être mesurés », insiste Pierre Charreton. Lorsqu’il était directeur juridique d’Areva, en 2009, ce dernier a d’ailleurs rapidement demandé un diagnostic financier de son département. Dix mois ont été nécessaires pour se déplacer dans chaque filiale et rechercher les coûts des juristes en interne et en externe. En menant un pilotage des coûts, les dépenses externes sont passées à 33 % contre 66 % auparavant. Chez Wagonlit Travel, Catherine Maguire-Vielle a mis en place un sharepoint pour que tous les juristes puissent notifier chaque dépense liée à un dossier. Elle fait aussi un point mensuel avec son équipe et le directeur des affaires financières afin de vérifier chaque euro dépensé. « Devoir gérer nos dépenses a été un véritable défi. Chaque direction juridique est différente. Il est important que chacune définisse son propre tableau de bord », développe-t-elle. Chaque entreprise a besoin, en effet, de trouver les indicateurs de performances les plus appropriés.

Économiser grâce aux algorithmes
Et compte tenu de la dimension stratégique dans la manière de décliner le droit, il s’avère pertinent de disposer d’indicateurs de performances qui parlent aux non-juristes, ou qui sont liés à la relation client par exemple. En cela, les legaltech vont pouvoir être d’une aide précieuse. « Ce type d’outil va faire gagner du temps. Le travail du juriste n’est pas pour autant affecté ou annihilé. Il faut aujourd’hui massivement investir sur les legaltech », martèle Pierre Charreton, convaincu. Les directeurs juridiques vont pouvoir utiliser ces dernières pour mieux appréhender le coût d’un risque judiciaire. « On commence par définir un contentieux puis déterminer chaque critère que le juge va prendre en compte pour prendre sa décision », développe Jacques Lévy-Véhel, co-fondateur de Case Law Analytics, qui propose des services de quantification du risque judiciaire. L’approche de cette legaltech en particulier s’applique aux contentieux attraits aux ressources humaines, à la rupture brutale des relations commerciales, à la concurrence déloyale et aux baux commerciaux.

Privilégier les compétences internes
Toutes les directions juridiques ne s’inscrivent pas encore dans cette logique, mais quelques bonnes pratiques doivent, a minima, être respectées : des factures 100 % dématérialisées, une centralisation des documents, un portail collaboratif d’échanges internes et externes, ainsi qu’un fichier Excel de suivis des honoraires et des frais.

Dans une fonction juridique, tous les éléments sont interconnectés. Le pilotage des coûts est donc celui des ressources et des expertises. Ainsi, il est essentiel de disposer de compétences internes d’un haut niveau pouvant se différencier de celles d’avocats. Pour le fondateur de Charreton Conseils, il ne fait aucun doute que « nous allons de plus en plus vers une logique de panel d’avocats, ce qui permet d’envoyer un message très clair en interne sur l’utilisation même de l’avocat. Les avocats doivent rester en concurrence ». Le fonctionnement de la direction juridique de Wagonlit Travel en est un bon exemple. Le département dispose d’un panel de « law firms friendly » à qui il fait appel en priorité par le biais d’appels d’offres. « Le temps où les juristes ne négociaient pas les honoraires est révolu », confirme Pierre Charreton. Et les offres de plus en plus innovantes des avocats témoignent du début d’une prise de conscience en ce sens.
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