Connexion

Vers une protection européenne contre les subventions étrangères

Par Michaël Cousin, associé du cabinet Ashurst

La Commission européenne sous-estime-t-elle la menace concurrentielle exercée par les entreprises non-européennes et particulièrement chinoises ? Son refus de la fusion Alstom/Siemens a pu le faire croire, au point d’inciter la France et l’Allemagne à publier un manifeste pour un changement du droit européen de la concurrence et pour plus de réciprocité avec les pays tiers dans l’accès aux marchés1.

Le message a de toute évidence été reçu par la nouvelle Commission, entrée en fonction en décembre dernier. Si sa réponse est mesurée sur le plan du droit de la concurrence2, elle est autrement plus ambitieuse sur le plan de l’accès des entreprises étrangères au marché intérieur. Son « Livre blanc relatif à l’établissement de conditions de concurrence égales pour tous en ce qui concerne les subventions étrangères », publié le 17 juin dernier3, plaide en effet pour un renforcement décisif des protections de l’Union contre certaines pratiques déloyales de ses partenaires commerciaux.

Le constat dressé par la Commission est simple : les entreprises européennes, qui sont soumises à des règles strictes encadrant les aides d’État, sont concurrencées en Europe par des entreprises subventionnées par des pays tiers. Il en résulte des distorsions de concurrence auxquelles les règles existantes ne permettent pas de remédier.

Selon la Commission, ces distorsions se manifestent à trois niveaux, appelant chacun une réponse particulière appelée « module ».

Le premier de ces modules a une portée très large. Il vise à traiter les distorsions de concurrence liées aux subventions étrangères (c’est-à-dire non-européennes) bénéficiant à des entreprises établies ou actives au sein du marché intérieur.

Le cadre proposé repose sur l’action conjuguée de la Commission européenne et d’autorités nationales. Ces « autorités de surveillance » formeraient un réseau similaire au Réseau européen de la Concurrence qui unit les autorités de concurrence au sein de l’Union.

Il est proposé que ces autorités puissent enquêter sur l’existence de subventions étrangères et prendre, contre les bénéficiaires, des mesures dites « réparatrices » extrêmement poussées et assorties d’amendes en cas de non-respect. Ces mesures pourraient aller jusqu’à des cessions d’actifs imposées, l’interdiction de certains comportements, l’octroi de licences obligatoires, voire l’obligation de publier des résultats de R&D. Des engagements pourraient en outre être négociés avec l’entreprise sur le modèle du droit de la concurrence.

Le deuxième module proposé concerne l’acquisition de cibles européennes atteignant certains seuils, notamment de chiffre d’affaires. De telles acquisitions devraient être notifiées à la Commission dès lors qu’elles auraient été réalisées par une entreprise ayant bénéficié, au cours des trois années précédentes, d’une contribution financière de la part d’une autorité non-européenne. La Commission aurait le pouvoir de l’interdire ou de l’autoriser moyennant des engagements. La notification serait suspensive.

Le troisième module concerne les marchés publics. Les soumissionnaires ayant reçu, au cours des trois années précédentes, des contributions financières dépassant certains seuils de la part d’une autorité non-européenne devraient le notifier à l’entité adjudicatrice. Cette notification serait publiée et transmise à l’autorité de surveillance compétente. Après enquête, celle-ci notifierait l’existence ou non d’une telle contribution au pouvoir adjudicateur, auquel il appartiendrait de déterminer, sur la base d’une méthode uniforme définie par la Commission, si celle-ci a faussé la procédure. Dans une telle hypothèse, l’exclusion du soumissionnaire pourrait être prononcée (y compris son exclusion des procédures futures).

Le livre blanc contient en outre des propositions destinées à combattre les effets des subventions étrangères dans le cadre des procédures de financement de l’UE.

Une consultation publique sur le livre blanc est ouverte jusqu’au 23 septembre prochain. Un texte pourrait être proposé par la Commission en 2021. 

Ashurst Michaël Cousin