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Photonis, Carrefour, symboles du renforcement du contrôle des investissements étrangers en France ?

Par Jacques Dabreteau, Anne Reffay, associés, et William Toutain, collaborateur, Ashurst

Il est rare que le droit et l’économie soient parfaitement synchrones. Mais, à tout principe ses exceptions, et la réforme de la réglementation des investissements étrangers en France (IEF) en fournit une éclatante illustration.

Destiné à clarifier le champ des activités sensibles et renforcer le dispositif de contrôle tout en simplifiant la procédure associée, le nouveau cadre juridique issu du décret et de l’arrêté du 31 décembre 2019 est entré en vigueur le 1er avril 2020, précisément au moment où il était le plus à même d’être sollicité. Ce mécanisme de protection a ainsi pu être mobilisé, et même renforcé, dans le cadre de la guerre économique s’inscrivant dans la crise sanitaire.

En effet, cette règlementation, qui soumet à autorisation du ministre de l’Économie la réalisation d’investissements étrangers dans des entreprises stratégiques, est apparue comme un levier expédient pour préserver la souveraineté du pays, face au risque de prédation né de la chute des valorisations d’entreprises intervenant dans des secteurs sensibles. C’est pourquoi le gouvernement a cherché à en renforcer l’efficacité, d’abord en rangeant les biotechnologies dans la liste des technologies critiques (arrêté du 27 avril 2020), puis en soumettant — temporairement — à cette règlementation tout projet d’acquisition par un investisseur hors UE/EEE d’au moins 10 % des droits de vote d’une société cotée exerçant des activités sensibles (décrets des 22 juillet et 28 décembre 2020). Une fois n’est pas coutume, cette densification du contrôle — qui s’inscrit dans un mouvement général au niveau européen — répond aux orientations de la Commission, ayant invité les États membres à renforcer la protection de leurs actifs stratégiques dans le contexte de crise.

Deux exemples récents permettent de mesurer la portée concrète des changements intervenus.

Sur le fond du droit d’abord, le « non courtois, mais clair et définitif » opposé par le ministre de l’Économie au rapprochement entre le groupe de grande distribution Carrefour et l’entreprise canadienne Couche-Tard, reflète l’interprétation large qui peut être retenue des nouveaux secteurs sensibles. En effet, en lien avec le règlement européen de 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements étrangers dans l’UE, le champ du contrôle a été étendu à « [l]a production, la transformation ou la distribution de produits agricoles […] lorsque celles-ci contribuent aux objectifs de sécurité alimentaire nationale ». Et, c’est bien cet impératif de sécurité alimentaire et de protection des filières agricoles qui a été avancé pour justifier le refus du ministre, ce avant même toute demande d’autorisation. Or, la liste des secteurs sujets au contrôle IEF n’a cessé d’être étendue depuis le décret Montebourg de 2014, couvrant de larges pans de l’économie en laissant au ministre un pouvoir d’appréciation large, voire discrétionnaire. Ceci explique qu’en cas de doute, les parties préfèrent notifier l’opération, compte tenu des sanctions sévères encourues en cas de méconnaissance de la règlementation IEF.

Dans la pratique du contrôle ensuite, force est de constater que le ministre de l’Économie, en lien avec les autres ministres et notamment celui des Armées, n’hésite plus à refuser les projets d’investissements étrangers pouvant porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale, comme en témoigne le refus d’autorisation du rachat de Photonis par la société américaine Teledyne en fin d’année 2020 dans le secteur de la défense. Si un tel refus demeure exceptionnel en pratique, il reste que les conditions — souvent négociées — dont peut être assortie l’autorisation sont susceptibles de modifier l’équilibre de l’opération envisagée, et dans des cas extrêmes conduire à sa remise en cause. C’est pourquoi il convient de prêter en amont une attention accrue au traitement de ces situations, afin d’organiser adéquatement l’éventuelle notification et de tenir compte au plan contractuel de ses répercussions sur le calendrier de réalisation de l’opération.