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Modernité de la procédure relative au programme de clémence ?

Par Par Cynthia Picart, avocate au barreau de Paris, fondatrice du cabinet Picart

L’Autorité de la concurrence a publié un nouveau communiqué de procédure relatif au programme de clémence le 15 décembre 2023, abrogeant et remplaçant celui du 3 avril 2015. Ce nouveau communiqué vise à apporter plus de prévisibilité aux entreprises par la simplification et la clarification du processus de clémence en intégrant les dernières évolutions législatives et réglementaires intervenues depuis 2015 à savoir, les nouveautés issues de la directive n° 2019/1 du 11 décembre 2018 dite ECN+ harmonisant les procédures de clémence au sein de l’Union européenne, de la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 dite DDADUE et du décret n° 2021-568 du 10 mai 2021 transposant les articles 17 à 22 de la directive ECN+.

 

Àtravers ce nouveau communiqué, l’Autorité de la concurrence acte non seulement l’évolution de la procédure de clémence et son européanisation issue de la directive ECN+ et consolide ainsi la pratique qui s’est développée depuis ; mais encore explicite les garanties apportées aux demandeurs de clémence, qu’ils soient personnes physiques ou morales, et met à cet égard notamment l’accent sur le lien entre clémence et procédure pénale.

Peut-on néanmoins parler de modernité de la procédure ?

Pour rappel, la procédure de clémence, instituée en France en 2001 par la loi NRE, permet à une entreprise qui participe ou a participé à une entente anticoncurrentielle d’en révéler l’existence afin de bénéficier d’une exonération totale ou partielle de sanctions encourues, sous certaines conditions et en fonction de son ordre d’arrivée. Les principes et grandes lignes du programme de clémence français sont fixés au IV de l’article L.464-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi DDADUE.

En pratique, la procédure de clémence a permis la détection de plusieurs ententes1 et constitue un outil qui a, jusqu’à présent, fait ses preuves, même si le nombre de procédures reste limité.

L’objectif poursuivi par l’Autorité à travers son programme de clémence est de mettre fin aux ententes et ce, dans l’intérêt de l’économie française et des consommateurs, il s’agit là de l’une de ses priorités. Reste donc à savoir si les apports du nouveau communiqué de procédure relatif au programme de clémence vont permettre un changement d’échelle afin de répondre au dessein de l’Autorité et inciter davantage les entreprises à y recourir.

À l’examen, si ce nouveau communiqué ne révolutionne pas la procédure en tant que telle, il a néanmoins le mérite de la simplifier et d’apporter un certain nombre de précisions utiles concourant à la transparence et à la sécurité pour les entreprises qui envisageraient d’y recourir.

Ainsi, il s’enrichit d’une nouveauté issue du décret n° 2021-568 du 10 mai 2021, concernant les conditions d’éligibilité à l’exonération totale de sanctions de type 1 A, à savoir quand les informations apportées par l’entreprise permettent de procéder à des opérations de visite et saisie. Désormais, à la condition d’éligibilité à une exonération totale de sanctions que ni la DGCCRF, ni l’Autorité ne doivent être en possession d’éléments suffisants pour procéder à une opération de visite et saisie, la condition qu’il n’a pas déjà été procédé à une telle opération ni à des perquisitions dans le cadre d’une procédure pénale en rapport avec la pratique en cause vient s’ajouter.

Les conditions de recueil de la demande de clémence et de la déclaration de clémence sont également modernisées, la dématérialisation est consacrée. Il est désormais possible pour les entreprises d’adresser leur demande par un formulaire électronique sécurisé sur le site internet de l’Autorité de même que pour la déclaration de clémence et les pièces au soutien de celle-ci qui peuvent être transmises via la plateforme sécurisée Hermès instaurée par le décret n° 2021-715 du 2 juin 2021. Les entreprises ont maintenant le choix du moyen qu’elles estiment le plus idoine parmi les différentes modalités proposées par l’Autorité (courrier, téléphone, remise en main propre, par formulaire en ligne ou plateforme sécurisée) tout en jouissant de la confidentialité et sécurité de leur démarche.

Le communiqué consacre également la pratique de demande de marqueur qui permet à l’entreprise demanderesse à la clémence de maintenir son rang d’arrivée le temps de rassembler les éléments venant au soutien de sa demande. Cette pratique incitative vise là encore à sécuriser les entreprises dans leur démarche.

Le communiqué prend également acte de la jurisprudence européenne, et notamment de l’arrêt Goldfish2 au titre duquel le tribunal de l’Union Européenne avait jugé recevable à titre de preuve d’un cartel des enregistrements secrets de conversation téléphoniques entre concurrents. En précisant la recevabilité d’enregistrements « dissimulés » au soutien de déclaration de clémence, l’Autorité consacre ainsi dans son communiqué le standard de liberté de la preuve prévu par la directive ECN+.

Il consolide en outre la pratique qui s’est développée depuis l’entrée en vigueur de la loi DDADUE supprimant l’avis de clémence, spécificité française source de lourdeur de la procédure, en mettant en place une nouvelle procédure par laquelle le rapporteur général donne suite à la demande de clémence. C’est ainsi lui qui informe l’entreprise par écrit, et dans les meilleurs délais, de son éligibilité ou non à une exonération totale ou partielle et des conditions de sa coopération avec l’Autorité le cas échéant. Là encore, cette consolidation de la pratique concourt à une meilleure prévisibilité pour les entreprises.

Enfin, le communiqué précise les garanties apportées au demandeur de clémence et rappelle les mécanismes permettant de limiter l’étendue de la responsabilité civile des entreprises et de la responsabilité pénale de leurs dirigeants.

Ainsi, sur le plan civil, il est précisé que l’exonération totale accordée à l’entreprise peut la protéger des conséquences civiles qui peuvent résulter de sa participation à la pratique anticoncurrentielle en limitant son risque de responsabilité solidaire en cas d’action en réparation engagée par une victime de la pratique, ainsi que la protection de la déclaration de clémence, le juge saisi ne pouvant enjoindre à sa communication.

Sur le plan pénal, le communiqué rappelle l’immunité pénale dont jouissent les personnes physiques, à savoir les directeurs, gérants ou autres membres du personnel ayant obtenu une exonération totale des sanctions pécuniaires3, à condition qu’ils aient activement coopéré avec l’Autorité et le ministère public.

Cette attention portée au rappel des garanties pour les personnes morales et physiques dans le nouveau communiqué participera utilement à encourager les entreprises à recourir à la procédure de clémence en particulier pour les ententes pour lesquelles l’Autorité n’a nullement connaissance, à savoir celles de type 1. Jusqu’alors, le risque pénal encouru par les dirigeants de l’entreprise était un frein certain au dépôt par l’entreprise de demande de clémence. L’immunité pénale nouvelle introduite en droit français à la faveur de la transposition de la directive ECN+ et rappelée dans le communiqué pourrait permettre de lever cette réticence.

En définitive, ce nouveau communiqué s’inscrit dans la modernisation graduelle du programme de clémence de l’Autorité de la concurrence entrepris en 2006, date du premier communiqué de l’Autorité, en lien avec l’harmonisation européenne des procédures de clémence, et sa montée en puissance comme instrument de lutte contre les ententes anticoncurrentielles. Il s’inscrit en outre dans le travail de pédagogie effectué par l’Autorité auprès des entreprises, travail qui passe également par la communication au fil de l’eau des opérations de visite et saisies menées, afin là encore d’inciter les opérateurs économiques à recourir à la procédure de clémence.

Plus largement, ce nouveau communiqué ne doit pas être pris isolément mais comme rouage d’une politique globale de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles ayant vocation à s’articuler avec d’autres dispositifs préventifs, tels que les programmes de mise en conformité (compliance programs), ou de détection, tel celui de recueil des signalements pour les lanceurs d’alerte4 issu du décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022 pris en application de la loi Sapin II qui permet aux lanceurs d’alerte, personnes physiques, d’informer directement l’Autorité de la concurrence lorsqu’ils sont témoins d’une pratique anticoncurrentielle sans devoir passer par un signalement interne à leur entreprise tout en bénéficiant d’un régime protecteur.

Reste désormais à apprécier in concreto l’attractivité de la procédure à l’aune du nombre de procédures engagées depuis la communication de ce nouveau communiqué.