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L’immunité de juridiction d’un État étranger en matière prud’homale n’est plus applicable par principe

Par Fleur Malet-Deraedt, avocat Responsable de mission au sein du département Règlement des contentieux et arbitrage de Fidal

L’immunité de juridiction est un privilège qui consiste à nier aux juridictions françaises le pouvoir de juger les États étrangers, lesquels se trouvent à l’abri de toute condamnation. Un arrêt récent confirme qu’elle n’est plus applicable par principe en matière prud’homale1.

En l’espèce, une secrétaire remerciée par l’ambassade de la République du Ghana à Paris avait saisi les prud’hommes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Afin d’échapper à cette action judiciaire, l’État s’était réfugié derrière son immunité en versant des attestations de son ministre des Affaires étrangères et de son ambassadeur, selon lesquelles la procédure initiée interférait avec ses intérêts en matière de sécurité.

Constatant que la fiche de poste de la salariée ne visait que des tâches administratives, la cour d’appel de Paris avait rejeté l’immunité de juridiction. Reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir tenu compte de ses attestations, la République du Ghana s’est pourvue en cassation.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif « quil résulte du droit international coutumier, tel que reflété par l’article 11 § 2, d) de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens […] que l’avis du chef de l’État, du chef du gouvernement ou du ministre des Affaires étrangères de l’État employeur, selon lequel l’action judiciaire ayant pour objet un licenciement ou la résiliation du contrat d’un employé risque d’interférer avec les intérêts de cet État en matière de sécurité, ne dispense pas la juridiction saisie de déterminer l’existence d’un tel risque ».

La solution dégagée semble à première vue classique mais elle est riche d’enseignements.

Classique d’abord, car il est admis depuis de nombreuses années que l’immunité de juridiction n’est pas absolue. L’État étranger n’en bénéficie que pour les actes jure imperii, c’est-à-dire lorsque l’acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l’exercice de sa souveraineté. Les actes jure gestionis, accomplis par l’État étranger dans le cadre de la vie économique, excluent son application. Transposée en droit du travail, la solution revient à vérifier que le salarié dispose de fonctions lui conférant une responsabilité particulière dans l’exercice du service public ou de prérogatives de puissance publique, ce qui n’était pas le cas en l’espèce pour une secrétaire.

La décision est aussi riche d'enseignements.

Le premier est que la chambre sociale fonde sa décision sur la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, qui n’est pas encore en vigueur, alors que la première chambre civile a renoncé à l’invoquer en matière d’immunité d’exécution2.

Le deuxième enseignement est que l’article 11 de la Convention des Nations Unies justifie et assoit définitivement le renversement de la charge de la preuve au profit du salarié.

En effet, en droit commun, l’immunité de juridiction est le principe, l’absence d’immunité l’exception, de telle sorte qu’il revient au demandeur de prouver que l’État étranger ne peut bénéficier de son privilège. L’article 11 § 1 de la Convention des Nations Unies inverse cette règle en prévoyant expressément qu’un État ne peut, en matière prud’homale, invoquer son immunité de juridiction, sauf s’il démontre que les conditions des exceptions de l’article 11 § 2 sont remplies.

En versant des attestations selon lesquelles la procédure risquait d’interférer avec ses intérêts en matière de sécurité, la République du Ghana estimait avoir valablement revendiqué le bénéfice de l’exception.

C’est sur ce dernier point que se situe le troisième enseignement : il appartient aux juges du fond de vérifier la réalité d’une telle interférence au regard des fonctions effectivement exercées par le salarié. 

Fidal Fleur Malet-Deraedt Immunité de juridiction