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Les SPACs en France, un véhicule original d’accès aux marchés financiers, susceptible de se développer en France ?

Par Jeremy Scemama, Associé et Location Head, Fabien Goudot, Collaborateur, Département Corporate, DLA Piper

Après une année 2020 prometteuse, le marché des Special Purpose Acquisition Companies (SPAC) semble prêt à décoller.

Nées aux Etats-Unis, les SPACs, sociétés sans activité opérationnelle dont les titres sont cotés en bourse en vue de l’acquisition ou de la fusion avec une société opérant dans un secteur d’activité prédéfini, connaissent un fort succès. Depuis les années 90, trois générations de SPACs ont vu le jour aux Etats-Unis en vue notamment de les rendre compatibles aux évolutions du droit boursier. Témoin de ce succès, en 2020, 268 introductions en bourse de SPACs ont été réalisées aux Etats-Unis correspondant à une levée de plus de 80 milliards de dollars.

En Europe et en particulier en France, si le phénomène des SPACs est nouveau, les acteurs s’intéressent de près à cette structure innovante avec ses particularités.

En France, deux SPACs ont pour l’instant été créées. Tout d’abord, la société « Mediawan », société immatriculée en décembre 2015 et cotée en avril 2016, fondée par Xaviel Niel, Matthieu Pigasse et Antoine Capton afin de créer un leader de la production télévisée en Europe. Ensuite, la société « 2MX Organic » immatriculée en septembre 2020 et cotée en décembre 2020, fondée par Xaviel Niel, Matthieu Pigasse et Moez-Alexandre Zouari et est dédiée à la production et la distribution de biens de consommation durables.

La particularité des SPACs est d’être introduites en bourse sur le compartiment professionnel du marché réglementé d’Euronext Paris. Chacune de ces introductions a été réalisée suite à l’admission aux négociations et par cotation directe d’actions de préférence et de bons de souscription d'actions ordinaires (représentant pour chaque SPAC une levée de 250 millions d’euros portés à 300 millions avec l’exercice intégral de la clause d’extension).

Une fois la SPAC cotée en bourse, les fondateurs (ou sponsors) déterminent un ou plusieurs projets d’acquisition ou de fusion. Chaque projet est alors soumis au vote des actionnaires réunis en assemblée générale, dans un souci de protection des investisseurs. En fonction du résultat du vote, trois situations doivent alors être distinguées :

Approbation du projet présenté

En cas d’approbation selon les règles de majorité fixées, la SPAC peut alors procéder à l’opération envisagée. Néanmoins, les actionnaires ayant refusé le projet bénéficient d’une option de vente de leurs titres. C’est en ce sens que les investisseurs dans les SPACs bénéficient d’une certaine protection. Ils ont en outre l’opportunité de conserver les bons qu’ils détiennent le cas échéant, ce qui leur permettra de tirer profit de l’éventuelle bonne performance du rapprochement réalisé pour lequel ils s’étaient opposés.

Rejet du projet présenté

Si le vote aboutit à un refus du projet, la SPAC devra renoncer à l’acquisition ou à la fusion projetée. Elle pourra néanmoins envisager un nouveau projet.

Absence d’acquisition ou de fusion dans le délai imparti

Si la SPAC ne réalise aucune acquisition dans le délai de deux ans à compter de sa cotation, soit parce qu’elle n’obtient pas la majorité requise pour le ou les projets présentés, soit que les projets ne sont pas menés à leur terme avant l’échéance, la SPAC est alors liquidée et retirée de la cote. Il sera éventuellement possible aux sponsors de solliciter la prolongation de cette date limite par l’assemblée des actionnaires sous réserve de proposer aux investisseurs un rachat de leurs titres. Les fonds initialement apportés seront alors reversés aux investisseurs et répartis au prorata de leurs investissements. Les sponsors, eux, supporteront seuls les coûts liés en particulier à la création et à la cotation de la SPAC, au-delà de l’impact réputationnel.

Au-delà de leur fonctionnement particulier, les SPACs présentent des avantages non négligeables en faveur des différents participants à l’opération, ce qui justifie l’intérêt qu’elles suscitent.

Côté sponsors

Tout d’abord, le placement étant effectué auprès d’investisseurs qualifiés, le plus souvent sous la forme d’un placement privé international, il en résulte une absence d’offre au public ce qui raccourcit le calendrier de l’introduction en bourse et diminue l’aléa de l’opération.

Quant à la documentation, le régime est allégé grâce à une cotation sur le compartiment professionnel. En particulier, s’agissant d’un prospectus d’admission, il n’y a pas de traduction en français du résumé, pas d’obligation de lettre de fin de travaux des commissaires aux comptes, ni d’attestions de prestataire de services d’investissements. L’Autorité des marchés financiers n’a d’ailleurs pas édicté de nouvelles règles spécifiques à ces sociétés, les SPACs étant fongibles dans la réglementation existante.

Du point de vue business, les SPACs offrent l’opportunité de lever un montant significatif de capitaux sur les marchés financiers en vue de procéder au rapprochement envisagé. Ce type d’opération peut être lucratif pour les sponsors qui détiendront en particulier une participation significative dans la SPAC et bénéficieront des droits de gouvernance préalablement déterminés, et ce, pour un investissement de départ relativement faible. Le retour sur investissement sera également généralement plus rapide que pour les autres alternatives offertes.

Côté sociétés cibles

L’avantage principal pour les sociétés cibles est de leur permettre d’être automatiquement cotées en conséquence de leur rachat par les SPACs. Celles-ci peuvent accéder aux marchés financiers de manière accélérée en s’évitant le processus classique d’introduction en bourse et ce, à un coût réduit par rapport à une IPO traditionnelle.

La valorisation de la société cible sera également plus certaine en comparaison à une IPO pour laquelle la valeur est sujette à la demande du marché.

Côté investisseurs

Au-delà de la protection dont ils bénéficient comme évoqué précédemment, les investisseurs, pourront bénéficier de la sécurité et de la liquidité du marché de cotation avec des perspectives de plus-values intéressantes.

Des contraintes sont néanmoins à prendre en considération pour ce type de structuration.

Côté sponsors

Comme évoqué plus haut, une SPAC est un véhicule d’acquisition spécialisé procédant à une levée de capitaux en bourse en vue d’effectuer une ou plusieurs acquisitions. Ces acquisitions devront être réalisées dans une période limitée d’environ 24 mois après la cotation de la SPAC et l’investissement devra représenter un minimum de l’ordre de 75-80% des fonds levés. Par ailleurs, il convient de noter qu’une fois la SPAC cotée en bourse, les échanges de titres ne pourront en principe intervenir qu’entre investisseurs qualifiés.

Pour plus d’efficacité et d’attractivité, plusieurs défis doivent être relevés par les sponsors qui veulent créer des SPACs. Ainsi le premier défi à relever est de faire en sorte que l’investissement envisagé et l’équipe des fondateurs soient suffisamment attractifs pour attirer les investisseurs français et internationaux. A titre d’exemple, la SPAC Pegasus Europe, cotée sur Euronext Amsterdam, résulte d’une combinaison entre professionnels de l’investissement et personnalités de la banque : la société de gestion alternative Tikehau Capital, la financière Agache (holding contrôlée par Groupe Arnault), Jean-Pierre Mustier, l’ex-patron d’Unicredit, et le banquier d’affaires Diego De Giorgi.

Il convient également d’être en mesure d’attirer des investisseurs susceptibles de bloquer un montant certain de fonds et ce, pendant deux ans. Par exemple, les titres Mediawan étaient uniquement réservés aux investisseurs institutionnels susceptibles d’investir au minimum un million d’euros.

Enfin, au niveau des sponsors, l’une des principales réflexions à mener concernera la gouvernance de la société préalablement et postérieurement à la réalisation de l’acquisition ou de la fusion ainsi que le mécanisme d’intéressement des fondateurs..

Côté sociétés cibles

Pour les sociétés cibles, la négociation des accords transactionnels et des documents y afférents peut s’avérer longue. Par ailleurs, la détention en capital des sponsors ainsi que les droits politiques dont ils disposent sont en principe non négligeables.

Enfin, dans l’hypothèse d’une acquisition par une SPAC constituée aux Etats-Unis, la société cible devra se conformer aux exigences boursières applicables aux Etats-Unis.

L’avenir des SPACs est prometteur et face à l’enthousiasme grandissant pour ces nouveaux vecteurs d’investissement, une compétition s’organise entre les places financières européennes. De nombreuses SPACs ont vocation à se créer en Europe et les SPACs américaines ont vocation à se tourner de plus en plus vers le marché européen pour faire l’acquisition de sociétés cibles. A noter que le marché néerlandais, le plus actif dans ce domaine actuellement, compte à ce jour six SPACs dont les SPAC ESG Core Investments et SPAC Pegasus Europe lancées récemment.

Si l’émergence des SPACs françaises est lente en comparaison à nos pays voisins et aux Etats-Unis, elles sont amenées à prendre une importance croissante. A noter toutefois que la multiplication des SPACs Outre-Atlantique commence à s’accompagner de contentieux à l’initiative d’investisseurs, notamment activistes.

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