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Les apports de la nouvelle directive sur les actions transfrontalières seraient-ils une menace pour les assureurs ?

Par Emmanuèle Lutfalla, avocate associée chez Signature Litigation, et Simon Fitzpatrick, élève-avocat

Selon l’article L. 621-7 du Code de la consommation actuelle, les entités qui figurent dans une liste établie par la Commission européenne peuvent intenter des actions en cessation de pratiques, mais uniquement dans la stricte limite des domaines mentionnés dans la directive de 2009, dont la majorité des produits de l’assurance est exclue.

La nouvelle directive, qui a vocation à remplacer la directive actuelle, prévoit d’abord que ces class actions soient également indemnitaires, au lieu d’être restreintes aux cessations de pratiques. Là-dessus, pas de nouveauté puisque le droit français l’avait déjà admis.

Pour la première fois, en revanche, les contrats d’assurance sont directement visés. Ainsi, les textes français qui transposent la directive Solvabilité II et la directive refonte sur la distribution de l’assurance, qui précisent les informations obligatoires dues aux assurés, pourront faire l’objet d’une class action. Parmi le nombre des obligations à charge des assureurs, deux d’entre elles méritent une attention particulière : l’obligation de se renseigner sur la situation du souscripteur et la gestion des conflits d’intérêts dans le cadre de l’assurance-vie.

Conformément à l’article L. 521-4 du Code des assurances, applicables à tous les contrats d’assurance, le distributeur est tenu de conseiller le souscripteur sur un contrat d’assurance qui tient compte de ses exigences, ses besoins et d’en motiver le choix. En matière d’assurance-vie, les obligations sont renforcées en prévoyant que le distributeur doit s’enquérir de la situation financière du souscripteur et de son expérience en matière financière. Le distributeur doit justifier son choix de manière compréhensible, exacte et non-trompeuse. C’est, en effet, une obligation très lourde qui pèse sur les assureurs et leurs distributeurs, et un manquement à cette obligation peut entraîner des sanctions financières. Pour la gestion des conflits d’intérêts, l’article L. 522-2 du Code des assurances impose aux distributeurs d’assurance-vie de prendre des mesures appropriées en cas de conflits d’intérêts. Mais, si les intérêts du souscripteur risquent d’être lésés, le distributeur est alors tenu d’en informer le souscripteur avant la conclusion du contrat.

Il y a là, à notre avis, une source importante de contentieux au travers notamment de la remise en question des décisions prises par l’assureur.

Plus audacieux est le cas d’ouverture des actions de groupe à des « entités qualifiées européennes », encore méconnue en France.

Pour la première fois, l’entité qualifiée d’un État membre pourra agir devant la juridiction d’un autre État-membre, privilégiant la mise en place de class actions transfrontalières.

Mais comme le dernier projet de la directive le précise, les juridictions (et les avocats) pourront vérifier la conformité de l’objet social avec la demande. Si la juridiction estime que la demande n’est pas conforme avec l’objet social (par exemple, un objet social trop éloigné du contentieux soumis), la juridiction pourra rejeter toute qualité à agir.

La nouvelle directive admet aussi pour la première fois le financement par des tiers de ces entités. Cependant la directive prévoit tant de conditions liées à l’obtention du financement que l’on peut légitimement douter d’une capacité réelle à l’obtenir. Le test phare est celui de l’influence exercée par le tiers financeur sur l’entité qualifiée. Si une juridiction estime qu’une « entité qualifiée » est influencée par son financement, la juridiction pourra tout autant rejeter la qualité à agir. Dès lors que la directive prévoit que les entités qualifiées doivent divulguer publiquement leurs sources de financement, le débat judiciaire sur la qualité à agir de ces groupes sera la norme dans ces class actions transfrontalières.

En conclusion, même si l’ouverture promise par la directive peut donner lieu à inquiétude, les moyens procéduraux contraignants imposés par la directive semblent limiter l’efficacité des class actions transfrontalières. Mais si un groupe parvient à franchir ces écueils, le résultat pourrait s’avérer dangereux pour les assureurs. 

Emmanuèle Lutfalla Signature Litigation