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Législation européenne sur l’intelligence artificielle : où en sommes-nous ?

Par Christophe Fichet, associé TMT, et Maxime D’Angelo Petrucci, avocat, cabinet Dentons Paris.

En février 2020, une proposition de législation consacrée à l’intelligence artificielle (IA) figurait en tête des priorités de la Commission européenne.

À la promesse de sa présidente, Ursula von der Leyen, d’une proposition de législation en matière d’IA dans les 100 premiers jours de son mandat, succédèrent en janvier un calendrier de travail indicatif – une proposition devait paraître au dernier trimestre 2020 – puis deux rapports en février, au sujet desquels le public était invité à réagir jusqu’en mai.

Dans ces rapports – le Livre Blanc sur l’intelligence artificielle et le Rapport sur les conséquences de l’intelligence artificielle, de l’internet des objets et de la robotique sur la sécurité et la responsabilité – la Commission européenne livrait ses réflexions sur les changements à apporter au cadre réglementaire pour propulser l’Europe au rang de championne mondiale d’une IA respectueuse des libertés, une gageure pour certains. Entre autres, elle y exprimait ses préférences pour une réglementation « fondée sur les risques », c’est-à-dire encadrant plus strictement les applications d’IA à « haut risque » que les autres applications, et de portée extraterritoriale (applicable aux opérateurs « qui fournissent des produits ou des services reposant sur l’IA dans l’UE »).

Plus précisément, d’après le Livre Blanc, les opérateurs responsables d’applications d’IA classées « haut risque » à l’aune de critères sectoriel et d’usage, se verraient imposer des obligations, telles par exemple de transparence et de contrôle humain, dont le respect serait assuré par des évaluations préalables de conformité. Les opérateurs responsables d’applications à faible risque ne seraient quant à eux pas soumis à ces obligations, mais pourraient recevoir des « labels qualité ».

Tout était en place pour qu’une proposition de législation voit le jour en hiver… Mais c’était sans compter sur la subite pandémie du Covid-19. Les priorités de la Commission changèrent, se concentrant désormais sur l’impérieuse nécessité de gérer la crise et son « après ». On aurait pu penser que la date initialement envisagée pour la publication d’une proposition de législation soit renvoyée aux calendes grecques…

Pourtant, la Commission européenne ne semble pas aujourd’hui s’engager dans cette voie. D’après un document interne publié par plusieurs médias, Bruxelles réévaluerait son programme de travail à l’aune de la crise sanitaire. On peut y lire que l’initiative réglementaire sur l’IA « pourrait éventuellement être reportée au premier trimestre 2021, mais de préférence pas plus tard ».

Si la Commission venait à entériner ce nouveau calendrier, une réglementation sur l’IA pourrait advenir rapidement dans un contexte de redressement économique où l’on se souviendra que cette technologie a été l’un des outils de la gestion de la pandémie. Son caractère idoine est apparu de manière criante. Ainsi, des formes d’IA ont permis de modéliser les stratégies de déconfinement, de prédire les prochains foyers de contagion en détectant les signaux faibles dans les réseaux sociaux, les fils d’actualités et les réservations de billets d’avions, ou encore de détecter les signes de la pneumonie associée au Covid-19 à partir de résultats de scanners de poumons.

La stratégie de la Commission – promouvoir le développement de l’IA par des investissements massifs et l’édification d’un marché unique des données d’une part, créer les conditions de la confiance des citoyens par un cadre réglementaire protecteur d’autre part – apparaîtra alors plus pertinente que jamais. L’Union pourra, comme elle l’a fait avec le RGPD, être précurseur et créer les standards de l’IA, plutôt qu’être le spectateur d’une révolution qui la dépasse, face aux puissances régionales que sont la Chine, les États-Unis et la Russie, qui en ce moment même renforcent considérablement leurs investissements en ce domaine. 

Christophe Fichet Dentons Paris Intelligence artificielle Intelligence artificielle (IA)