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Le renforcement du contrôle exercé par le Tribunal sur les décisions de la Commission ordonnant des inspections en matière de concurrence

Par Frédéric Puel, associé et Lucie Marchal, avocat, cabinet Fidal

Le 16 juillet 2020, la Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu un arrêt1 dans lequel elle affirmait que les inspecteurs de la Commission Européenne peuvent copier des documents sans en avoir évalué au préalable la pertinence et les examiner ultérieurement dans leurs locaux à Bruxelles, illustrant une nouvelle fois la conception de plus en plus extensive des pouvoirs des enquêteurs européens lors de perquisitions2.

Le 16 juillet 2020, la Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu un arrêt1 dans lequel elle affirmait que les inspecteurs de la Commission Européenne peuvent copier des documents sans en avoir évalué au préalable la pertinence et les examiner ultérieurement dans leurs locaux à Bruxelles, illustrant une nouvelle fois la conception de plus en plus extensive des pouvoirs des enquêteurs européens lors de perquisitions2.

Dans ce contexte, les trois arrêts rendus par le Tribunal de l’Union européenne le 5 octobre dernier sont bienvenus en ce qu’ils démontrent la volonté du Tribunal d’exercer de manière encore plus effective son pouvoir de contrôle des décisions de la Commission ordonnant des inspections3.

En l’espèce, les sociétés Casino, Intermarché et Les Mousquetaires ont introduit des recours en annulation contre deux décisions de la Commission autorisant la réalisation de perquisitions au sein de leurs locaux. Il leur était reproché d’avoir échangé d’une part des informations « concernant les rabais obtenus sur les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante » (i), et d’autre part « concernant leurs stratégies commerciales futures » (ii).

Parmi les moyens soulevés par les requérantes au soutien de leurs recours, c’est celui relatif à une violation de leur droit à l’inviolabilité du domicile, tel qu’exprimé dans l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux et l’article 8 de la CEDH, qui a prospéré.

Le Tribunal précise en premier lieu que le niveau de preuve exigé de la Commission afin de justifier une inspection liée à une infraction au droit de la concurrence est nécessairement inférieur à celui requis afin de prouver l’infraction elle-même et qu’« il suffit que la Commission dispose d’éléments et d’indices matériels sérieux l’amenant à suspecter l’existence d’une infraction ».

Pour autant, le Tribunal considère dans cet arrêt que, bien que la Commission possédait des indices sérieux pour suspecter la première infraction relative aux rabais, ce n’était pas le cas concernant les échanges d’informations portant sur les stratégies commerciales. En effet, pour justifier sa décision d’inspection, la Commission s’était fondée sur une convention organisée le 21 septembre 2016 au siège d’Intermarché, durant laquelle la direction du groupe a présenté à ses fournisseurs ses priorités commerciales, en présence d’un des directeurs du groupe Casino en sa qualité de représentant d’INCA, filiale commune de Casino et d’Intermarché. La Commission en a déduit que cette convention traduisait un échange d’informations commerciales sensibles entre Casino et Intermarché. Cependant, le Tribunal, précisant que « la seule présence d’un directeur au sein du groupe concurrent Casino au cours de la présentation par Intermarché de ses priorités commerciales » ne permettait pas de « soupçonner une réception des informations communiquées », que les informations communiquées n’étaient pas stratégiques et qu’elles étaient publiques, a considéré que « la Commission ne pouvait valablement déduire […] une suspicion d’échange de données commerciales entre concurrents » et a prononcé l’annulation des décisions attaquées sur ce point.

Ces arrêts, sans remettre en cause les pouvoirs étendus de la Commission en matière d’inspections, s’inscrivent dans un mouvement jurisprudentiel témoignant de la volonté du Tribunal de contrôler davantage les décisions de la Commission justifiant des inspections, notamment l’existence d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence. À titre d’exemple, le Tribunal a récemment annulé partiellement des décisions justifiant une inspection, au motif que le champ de l’inspection allait au-delà des indices fournis dans la décision4.

C’est ainsi la pratique de la Commission consistant à perquisitionner des entreprises en l’absence de réelles preuves qui est ici condamnée et qui rappelle l’importance pour les entreprises de se doter de procédures en matière de perquisitions afin d’assurer la défense de leurs intérêts.

Notes

1. CJUE, Affaire Nexans, C-606/18

2. Voir LJA, 28 septembre 2020, Vers une évolution de la pratique de la Commission durant les inspections en matière d’ententes ?

3. TUE, Affaires Casino (T-249/17), Intermarché Casino Achat (T-254/17) et Les Mousquetaires (T-255/17)

4. CJUE, Affaire České dráhy (T-325/16) et TUE, Affaire Nexans (T-135/09)

Frédéric Puel Lucie Marchal Fidal