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Le Conseil d’État rappelle que l’administration fiscale ne peut pas créer le droit !

Par Xenia Legendre, associée, et Alban Castarède, élève-avocat, cabinet Hogan Lovells

Le Conseil d’État vient tirer les conséquences de l’incompatibilité au droit de l’Union Européenne de l’article 244 bis B du Code général des impôts. Les plus-values résultant de cessions par des sociétés non-résidentes de droits sociaux détenus dans des entités françaises ne peuvent pas être imposées en France. Mais, plus intéressant est le rappel de l’impossibilité pour l’administration fiscale de corriger par voie règlementaire une norme interne violant le droit de l’UE.

Le Conseil d’État vient tirer les conséquences de l’incompatibilité au droit de l’Union Européenne de l’article 244 bis B du Code général des impôts. Les plus-values résultant de cessions par des sociétés non-résidentes de droits sociaux détenus dans des entités françaises ne peuvent pas être imposées en France. Mais, plus intéressant est le rappel de l’impossibilité pour l’administration fiscale de corriger par voie règlementaire une norme interne violant le droit de l’UE.

Le litige tranché par le Conseil d’État le 14 octobre 2020 (n° 421524) portait sur les modalités d’application de l’article 244 bis B du CGI qui institue, entre autres, et sous réserve de l’application d’une convention fiscale, un prélèvement applicable aux cessions, par des sociétés non-résidentes, de leurs « participations substantielles » (i.e., supérieures à 25 %) dans des entités françaises.

Ce prélèvement est, depuis de nombreuses années, aménagé de facto par l’administration fiscale qui reconnaît implicitement son incompatibilité aux libertés d’établissement et de circulation des capitaux.

Très concrètement, l’administration permet aux sociétés non-résidentes de ne s’acquitter du prélèvement qu’à hauteur de l’imposition qu’elles auraient dû subir en France si elles y avaient été établies soit à un taux compris, selon les années, entre 1 % et 4 % et qui correspond à l’exonération de la plus-value avec la réintégration au résultat d’une quote-part de frais et charges (« QPFC ») égale, depuis 2013, à 12 % du gain réalisé.

Toutefois, une société de droit italien a décidé de contester ce reliquat de prélèvement qui était demeuré à sa charge.

La question qui se posait aux juges administratifs était donc celle de savoir quelles devaient être les conséquences à tirer de l’incompatibilité d’une loi avec le droit communautaire.

En effet, s’il est de jurisprudence constante que la violation du droit de l’UE implique nécessairement la décharge de l’imposition en litige1, la particularité de cette affaire résidait dans le fait qu’il existait - et existe toujours2 - une instruction administrative venant corriger la norme fiscale incompatible avec le droit de l’UE. Aussi, il s’agissait de savoir si cette instruction administrative pouvait, de manière pratique, venir « purger » l’incompatibilité instituée par l’article 244 bis B du CGI.

À ce titre, les juges rappellent que l’administration ne peut trouver dans la contrariété d’une norme interne, « un fondement juridique l’habilitant à édicter des dispositions de caractère réglementaire qui se substitueraient à ces dispositions législatives » et déchargent donc de l’imposition la société.

À la suite de cette décision, quelques réflexions s’imposent.

Concrètement, à l’heure actuelle, toute cession de participation substantielle dans une société française par une société étrangère - y compris celles établies dans un État tiers3 - doit purement être exonérée à 100 % en France. Symétriquement, les sociétés non-résidentes peuvent contester, en principe pour les exercices 2018 et 2019, le reliquat de prélèvement resté à leur charge.

En outre, la situation actuelle engendre une discrimination à rebours dans la mesure où les sociétés résidentes reçoivent un traitement fiscal plus défavorable puisqu’elles doivent réintégrer dans leur base imposable la QPFC.

Enfin, cette décision appelle les praticiens à plus d’audace face à des instructions administratives qui manifestement rajoutent à la loi fiscale. En effet, des exemples d’annulation des dispositions du BOFIP pour contrariété ou rajout à la loi sont nombreux4.

Ayons donc l’œil critique sur les commentaires de l’administration chaque fois qu’ils ajoutent à la loi ou restreignent ses dispositions.

Notes

1. CE, 6 avril 2007, n° 235069, Denkavit

2. BOI-IS-RICI-30-20-01/08/2018

3. CAA Versailles, 20 octobre 2020, n°18VE03012

4. Pour un exemple récent, CE, 21 octobre 2020, n° 442799 sur le régime fiscal des impatriés

Conseil d'état fiscalité Xenia Legendre Hogan Lovells