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L’article 1195 du Code civil, vaccin contractuel au Covid-19 ?

Par Hortense Roux, avocat associée, et Lisa Vivent, avocat, ASHURST

Afin de répondre au mieux aux enjeux sanitaires actuels, l'exécutif a étendu la mesure de confinement au-delà de la date initiale du 31 mars, sans pour autant s'engager sur la date à laquelle une vie économique normale pourra reprendre. 

Cette incertitude sur la durée du confinement et la quasi-paralysie de l'économie française qui en résulte sont susceptibles de constituer des obstacles considérables à la bonne exécution des contrats conclus entre les différents agents économiques.

A chaque symptôme son remède : celui que nous envisageons ici s'appelle l'imprévision, et prévoit la possibilité de renégocier le contrat en cas de "changement de circonstances imprévisible".

L'imprévision, un remède plus efficace que la force majeure ? 

Beaucoup de publications récentes présentent la force majeure comme le meilleur traitement proposé par le droit français des contrats. Et si ce n'était pas nécessairement le cas ?

Premièrement, cela dépend de l'objectif recherché par le cocontractant en difficulté : alors que la force majeure libère les parties de leurs obligations respectives, et leur permet d'obtenir la résolution du contrat , l'imprévision leur donne la possibilité de maintenir le lien contractuel, en adaptant la teneur de leurs obligations au changement intervenu .

Deuxièmement, si la qualification de la force majeure nécessite de démontrer que l'exécution de l'obligation par le débiteur est impossible, celle de l'imprévision se contente d'un évènement l'ayant rendu "excessivement onéreuse", offrant ainsi un champ des possibles plus large au débiteur en difficulté.

Les prédispositions nécessaires à la renégociation du contrat

Sonnant le glas de la célèbre jurisprudence Canal de Craponne , la réforme du droit des contrats a introduit en droit français la théorie de l'imprévision, tout en définissant son régime .

L'article 1195 du Code civil qui en résulte ne s'applique qu'en présence d'"un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat". Compte tenu de l'ampleur de la crise du coronavirus et des mesures inédites qui en résultent, cette première condition ne devrait pas poser de difficulté. 
Cet article exige, en outre, que l'exécution du contrat soit devenue "excessivement onéreuse" pour une partie. Cette condition sera évaluée au cas par cas, étant précisé que de simples coûts supplémentaires ou pertes de bénéfices ne sauraient suffire. 

Enfin, l'invocation de l'article 1195 du Code civil n'est possible que si la partie qui se prétend victime n'a pas accepté le risque émanant d'un changement de circonstances.

Les traitements alternatifs "en cas de refus ou d'échec de la négociation"

Aux termes de l'alinéa 2 de l'article 1195 du Code civil, le créancier n'est pas tenu d'accepter la renégociation proposée par la victime de la situation d'imprévision, et les parties peuvent finalement opter pour la résolution de leur contrat .

Toutefois, le refus du créancier ouvrira la voie à l'intervention du juge saisi par le débiteur en difficulté, avec à la clé, la révision du contrat, voire sa résiliation. Le pouvoir conféré au juge est particulièrement large, celui-ci ayant le choix de "réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe".

S'il est trop tôt pour savoir si l'article 1195 du Code civil sera plébiscité par les opérateurs économiques faisant face au Covid-19, la situation actuelle représente une opportunité sans précédent d'expérimenter un mécanisme longtemps attendu, mais encore peu usité.

Notes : 

1. Articles 1218 et 1351 du Code civil.
2. Article 1195 du Code Civil.
3. Cass., Civ.3., 8 mars 1876, arrêt Canal de Craponne : "il n'appartient pas aux tribunaux, quelque équitable que puisse paraitre leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties , soit remis en question".
4. Article 1195 du Code civil.
5. Y. Picod, Art. 1195 - Fasc. unique : CONTRAT. – Effets du contrat. – Imprévision, 31 août 2019, n° 56

 

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