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L’action de groupe : une déception, mais pour qui ?

Par Sylvie Gallage-Alwis, associée du cabinet Signature Litigation

Le 11  juin 2020, le rapport d’information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe estimait que « le bilan de cette nouvelle procédure reste décevant ». Le rapport critique ainsi le nombre peu élevé de recours formés et leur absence de succès. Le rapport va jusqu’à indiquer que l’action de groupe, telle qu’elle existe, n’a pas permis « d’avancées significatives dans la défense des consommateurs ». Doit-on cependant apprécier le succès d’un mécanisme juridique au nombre élevé d’entreprises poursuivies et condamnées ? Ne devrait-on pas plutôt s’intéresser à la motivation juridique des décisions rendues et à la nécessité d’un tel mécanisme aux côtés de tous les autres mécanismes qui existent déjà ?

Dans son interview sur le sujet pour la LJA (n° 1449, 22 juin 2020), Madame Laurence Vichnievsky, députée Modem du Puy-de-Dôme et vice-présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, indiquait ainsi que l’aspect négatif de cette action est que « seulement 21 actions de groupe ont été introduites » et qu’un des aspects positifs est son extension à d’autres domaines. Ce parti-pris que le bon fonctionnement d’un mécanisme juridique doit être apprécié en fonction du nombre d’actions formées et d’un champ d’application étendu est contestable. Or, c’est ce parti-pris qui anime les discussions visant à réformer l’action de groupe française et les discussions relatives à la proposition de Directive relative aux actions représentatives dans le domaine de la protection des intérêts collectifs des consommateurs.

Il n’est donc pas étonnant de lire qu’au niveau européen un accord politique a été trouvé le 22  juin avec pour mot d’ordre : « l’Europe doit devenir le bouclier qui protège les populations ». Le rapport du 11 juin préconise, quant à lui, un élargissement des préjudices et secteurs concernés, rappelant que le projet de Directive inclut par exemple les services financiers, et proposant une action de groupe « universelle » afin de mettre fin à toute possibilité d’invoquer une fin de non-recevoir sur ce point. Il est aussi fait mention d’une volonté de renforcement des sanctions possibles avec une prise en compte du chiffre d’affaires de la société. Le rapport tire donc une leçon de chaque jugement favorable aux entreprises, en vue de rendre impossible une défense similaire dans le futur, alors même que ce type de recours a déjà un effet dissuasif reconnu.

On note que les auteurs ne sont pas insensibles au risque d’abus. C’est ainsi que la proposition de Directive prévoit dès le préambule qu’« il est important d’assurer le nécessaire équilibre entre l’accès à la justice et les garanties procédurales contre les recours abusifs ». À ce titre, même s’il démontre que les systèmes des deux pays ne sont pas identiques, le groupe de travail français ne se prive pas d’indiquer qu’il a été alerté que « l’une des principales dérives […] est qu’elles seraient un outil procurant des gains importants pour les avocats et de faibles retombées pour les membres du groupe ». C’est pourquoi, le rapport propose d’introduire l’obligation pour les juridictions de condamner la partie succombante à supporter tous les honoraires et frais engagés. La volonté de limiter les abus transparaît également dans la préconisation de maintenir le filtre de l’association de consommateurs, tout en proposant néanmoins de l’étendre car les associations agréées à ce jour ont fait part de leurs difficultés à gérer ce contentieux.

Reste la question de fond, à savoir si les juridictions vont mettre en œuvre un régime dérogatoire de présomptions contre les entreprises. Il s’agit d’un phénomène déjà observé lorsque les solutions législatives sont perçues comme insuffisantes ou trop lentes par les juridictions françaises et encouragé par la Cour de Justice de l’Union Européenne. C’est un point clé à surveiller pour l’avenir, les juridictions restant rarement cantonnées aux principes de la responsabilité civile lorsqu’elles estiment qu’un dossier possède une dimension sociétale.

Action de groupe Sylvie Gallage-Alwis Signature Litigation