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La grande peur des négociations autour du télétravail

Par Nicolas Mancret, associé, et Augustin Charoy, cabinet Jeantet Associés.

La Covid-19 est-elle en passe de devenir le super négociateur des accords sur le télétravail ? Après l’exercice plus ou moins contraint du télétravail, vient le temps de la négociation sur ses conditions. Les cadres existants ne semblent plus adaptés à la nouvelle donne. Toutes les directions des ressources humaines savent qu’elles doivent engager une négociation du fait d’une forte demande des salariés et de l’impact de la possibilité du télétravail sur l’attractivité de l’entreprise. Mais cette négociation crée de nombreuses inquiétudes, avec la peur d’ouvrir la boîte de Pandore.

Autorisé à la faveur de la Loi Warsmann* et encadré par les ordonnances Macron**, seules quelques entreprises disposaient d’un accord sur le télétravail fin 2019. De nombreux accords collectifs négociés à la hâte dès mars 2020 révèlent la nécessité de prendre en compte l’expérimentation in vivo qu’entreprises et salariés ont vécue depuis lors. Si les conditions de réversibilité du télétravail doivent impérativement être prévues lors de la mise en place du dispositif, les négociations doivent également aborder les questions des contreparties pécuniaires, de la présence syndicale et de la préservation de la santé des salariés…

La problématique des contreparties pécuniaires, dans une période de budget contraint, est une question épineuse pour les DRH. L’ANI du 26 novembre 2020 rappelle que les frais engagés par un salarié dans le cadre du télétravail doivent être supportés par l’employeur (frais d’accès internet, aménagement de l’espace de travail, quotepart d’électricité…). En outre, le Code du travail prévoit que les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits et avantages que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise. Or, cette comparaison n’est pas aisée à opérer. La seule question des tickets restaurants a produit en trois semaines deux décisions contraires***. La réflexion doit cependant être élargie, puisque le cœur du débat porte plutôt sur la participation de l’employeur aux frais de télétravail, dont les tickets restaurants constituent bien souvent l’unique contrepartie.

Les questions de la préservation de la santé des salariés et du contrôle du temps de travail sont particulièrement sensibles. Face à un salarié en télétravail, comment apprécier son état de santé ? Quelques éléments peuvent guider les négociations. L’accord peut prévoir une clause selon laquelle le salarié doit justifier de la conformité du lieu d’exercice du télétravail aux nécessités de son activité et aux normes de sécurité en vigueur. Afin de s’assurer du bon déroulement du télétravail, des bilans réguliers peuvent être prévus avec le salarié. Seront abordés la charge de travail du salarié, son organisation, l’équilibre vie personnelle/vie professionnelle. Ce sera également l’occasion de vérifier que le salarié ne se trouve pas dans une situation d’isolement préjudiciable à sa santé.

Le droit du travail fait peser sur l’employeur le contrôle du temps de travail. La négociation doit clarifier l’amplitude de travail autorisée et les plages horaires lors desquelles les salariés sont joignables. Pour la plupart, les salariés souhaitent un assouplissement de ces règles. L’employeur a-t-il les moyens de contrôler à distance le temps de travail des salariés ? Système auto-déclaratif, contrôle du temps de connexion, charte de déconnexion, lock-out… Le contrôle de l’activité doit aussi servir à prévenir les risques psychosociaux, sous réserve d’avoir averti au préalable les salariés de l’utilisation des données de connexion.

L’exercice des prérogatives syndicales, dans un monde de télétravail globalisé pose question. En matière de propagande électorale, la loi El Khomri encadre la possibilité pour les organisations représentatives du personnel d’envoyer des e-mails aux salariés, qui doivent être en mesure d’accepter ou de refuser un message (article L. 2142-6 du Code du travail). Comment alors que les salariés sont chez eux, conserver des moyens de dialogue et d’information pour les IRP ? La négociation sur les moyens mis à la disposition des syndicats sera à l’agenda de cette grande négociation qui promet d’être d’autant plus difficile pour les directions des ressources humaines, que les conditions mêmes de la négociation sont « entravées » par le télétravail. Les syndicats disposent-ils aujourd’hui du recul suffisant et du partage d’expérience avec les salariés qu’ils représentent, pour s’exprimer en leur nom sur ce sujet ? 

Notes

*(Loi n° 2012-387 du 22 mars 2012).

**(Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017).

*** Le tribunal judiciaire de Nanterre a jugé que les salariés en télétravail
pouvaient être exclus du bénéfice des tickets restaurants (TJ Nanterre, 10 mars 2021, n° 20/09616), lorsque le tribunal judiciaire de Paris a retenu la solution inverse (TJ Paris, 30 mars 2012, n° 20/09805).

Nicolas Mancret Jeantet Associés Augustin Charoy