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La fiducie au service de l’équilibre des pouvoirs au sein d’une société

Par Laurent Julienne, associé et managing partner cabinet LERINS & BCW

Dans les sociétés comprenant plusieurs actionnaires ou groupes d’actionnaires, la répartition du capital entre ces actionnaires et leur vision respective du développement de l’entreprise sont de nature à entraver la prise de décisions au sein des organes sociaux ainsi que l’application de la feuille de route fixée. Dans ce cas, les actionnaires peuvent décider de nommer un administrateur indépendant au sein du conseil (d’administration, de surveillance ou encore ad hoc) d’une société afin de fournir un éclairage externe et, le cas échéant, départager les représentants des actionnaires au sein du conseil sur des projets de décision disputés.

Le pouvoir effectif d’un administrateur indépendant trouve souvent sa limite dans le fait que les décisions préalablement examinées en conseil peuvent être battues en brèche par un refus d’approbation par les actionnaires réunis en AG. Cet écueil concerne les décisions débattues et validées en conseil avant de devoir être approuvées par l’AG des actionnaires en application des règles légales ou statutaires, telles que la nomination d’un commissaire aux comptes, la réalisation d’un investissement stratégique ou d’une augmentation de capital.

On assiste dans ce cas à une « désynchronisation » entre le conseil et l’AG pouvant limiter l’intérêt de nommer un administrateur indépendant.

Dans ce contexte, la mise en place d’une fiducie constitue un instrument efficace pour « resynchroniser » le conseil et l’AG et, plus généralement, contribuer à relégitimer l’administrateur indépendant en lui conférant des droits de vote au sein de l’AG.

La fiducie est le mécanisme par lequel on transfère à un fiduciaire, à titre temporaire et de manière parfaitement encadrée, la propriété d’une portion des titres des actionnaires décidés à instaurer une gouvernance propre à éviter des situations de blocage et des dysfonctionnements de la gouvernance. En complément, il est contractuellement prévu que le fiduciaire exerce les droits de vote afférents aux titres qui lui sont transférés de manière conforme aux indications transmises par l’administrateur indépendant. Le périmètre des décisions donnant lieu à organisation du droit de vote peut être librement fixé par le contrat de fiducie. Il s’agira de décisions importantes telles que celles évoquées plus haut, mais également de décisions telles que la nomination et la révocation des mandataires sociaux dont la stabilité, sauf raisons objectives, est souvent le gage d’un rapprochement réussi.

Cette organisation politique ne dégrade en rien les droits économiques des actionnaires ayant confié leurs titres au fiduciaire. En effet, le contrat de fiducie peut prévoir que les droits de vote pour toute décision de distribution de dividendes demeurent à la main de l’actionnaire constituant et que les dividendes correspondants reviennent également à ce dernier.

De cette manière, le contrat de fiducie permet de projeter l’influence de l’administrateur indépendant au sein de l’AG pour en faire en quelque sorte un « actionnaire indépendant » à même d’assurer l’équilibre nécessaire à une gouvernance efficiente sans porter atteinte aux droits financiers des actionnaires.

Ainsi, dans le cas d’une société cotée accueillant de nouveaux actionnaires lui ayant apporté des titres et devenus, de ce fait, le premier groupe d’actionnaires au sein de la société, les actionnaires historiques devenus minoritaires rechercheront la stabilité de la gouvernance préexistante. Les deux groupes d’actionnaires peuvent alors convenir de confier une fraction de leurs actions à un fiduciaire qui sera chargé d’exercer les droits de vote correspondants selon les indications reçues de l’administrateur indépendant pendant une période prédéfinie et nécessaire à l’intégration opérationnelle des sociétés ainsi regroupées. Le cas échéant, l’administrateur indépendant devra décider selon son appréciation, guidée par l’intérêt social, s’il convient de joindre les voix dont il dispose à un projet de résolution, par exemple celui concernant la révocation ou la nomination d’un dirigeant. La fiducie est un outil aisé à mettre en place et recèle ainsi en matière de gouvernance d’un potentiel riche appelé à un développement prometteur. ■

Laurent Julienne Lerins & BCW FIDUCIE