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Force majeure ou imprévision il ne faut pas choisir

Par Jean-Luc Soulier, Associé Gérant, Avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles

Une partie à un contrat commercial peut-elle échapper à ses obligations en raison des bouleversements économiques provoqués par la pandémie Covid-19 ? La réponse à cette question doit être recherchée dans le nouveau droit des contrats instauré par l’ordonnance du 10 février 2016, qui, rétrospectivement, semble avoir été créé pour offrir une caisse à outils aux entreprises menacées par cette crise sans précédent. 

Avant la réforme, un bouleversement imprévisible des conditions économiques n’étant pas en soi considéré comme un évènement de force majeure, le juge était dans l’impossibilité de réviser le contrat pour imprévision en raison du principe de l’intangibilité des contrats. Et tant pis si la conséquence était la disparition d’une entreprise.

Aux termes du nouvel article 1195, lorsqu’un « changement de circonstances imprévisible » rend l’exécution du contrat « excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque », celle-ci a désormais la faculté de demander la renégociation du contrat à son cocontractant. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge a la possibilité de réviser le contrat ou d’y mettre fin à la date et aux conditions qu’il fixe. 

Autre changement majeur : aux termes du nouvel article 1104, le principe selon lequel les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi a désormais un caractère d’ordre public.

Le nouvel article 1218 sur la force majeure vise pour sa part « tout évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées. » Une crise sanitaire mondiale échappe sans conteste au contrôle des parties et peut avoir des effets de nature économique dévastateurs qu’aucune « mesure appropriée » ne peut éviter.

Les entreprises qui ne peuvent faire face à leurs obligations du fait de la pandémie Covid-19 et de ses conséquences s’interrogent : doivent-elles se prévaloir de la force majeure ou de l’imprévision ?

Celui qui invoque l’imprévision peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Problème : il doit continuer d’exécuter ses obligations. Et en cas d’échec des négociations, obtenir une décision du juge révisant le contrat ou y mettant fin peut prendre plusieurs mois. Se placer sur le terrain de la force majeure permet en revanche de cesser d’exécuter ses obligations sans être contraint d’engager des négociations et sans qu’il soit besoin de requérir l’intervention du juge.

La force majeure et l’imprévision n’étant pas exclusives l’une de l’autre, pourquoi choisir ? Le cocontractant qui ne peut faire face à ses obligations en raison des bouleversements économiques provoqués par la pandémie Covid-19 peut notifier l’évènement de force majeure à l’autre partie tout en l’invitant à négocier une révision des termes du contrat. 

Et si l’autre partie fait la sourde oreille, un juge qualifiera de mauvaise foi le refus de renégocier les termes d’un contrat dont l’exécution serait devenue excessivement onéreuse du fait des conséquences économiques de la crise sanitaire. Comme l’obligation de bonne foi est une obligation d’ordre public, la partie qui refusera de tenir compte de la situation nouvelle créée par la pandémie ne pourra se prévaloir de dispositions contractuelles pour tenter de s’en exonérer.