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Élections, piège à relance

Par Romain Granjon, associé, Adamas Avocats

Depuis le début de la crise liée à l’état d’urgence sanitaire, il est beaucoup question du rôle de « l’Etat « dans le soutien à l’activité économique. De l’Etat central. Beaucoup moins du rôle et de la situation des collectivités territoriales, des structures de coopération intercommunales, et de leurs satellites : établissements publics, sociétés d’économie mixte, sociétés publiques locales, associations, …

Pas un mot sur le sujet dans l’allocution du Président de la République annonçant le prolongement du confinement. 

L’investissement public local oscille entre 45 et 50 Mds€ par an.

Après un net fléchissement après la crise financière de 2008, et une remontée progressive dans les années suivantes, il représentait en 2019 environ 2% du PIB, mais une part de l’ordre de 55 à 60 % de l’investissement public global, selon que l’on prend ou non en compte les concours de l’Etat dans certains programmes d’investissement des collectivités.

Ces chiffres restent réducteurs. Les financements publics reposent sur le principe de l’accélérateur (l’effet de ruissellement si l’on veut employer un langage en vogue). Un euro public engagé doit générer plusieurs euros d’investissement privé, et alimenter, avec un effet multiplicateur variable selon la nature des projets, croissance, activité et emploi. Un chantier de construction est aisément chiffrable. Comme pour toute activité économique, les chiffres bruts d’investissements ne rendent pas compte des effets induits, sur l’industrie (fabricants, fournisseurs), sur le commerce, l’agriculture, le transport et plus largement les communications, le tourisme, les infrastructures, les besoins en logements, équipements de toute nature, écoles, postes administratifs, … et à la clé sur les emplois, la vie socio-économique et des habitants et le maintien de leur implantation territoriale. 

Or, paradoxe du temps, « en même temps » que les autorités gouvernementales évoquent les politiques publiques et appellent les Préfets à réunir les acteurs pour favoriser la reprise ou la poursuite des chantiers, les élections municipales ont placé les collectivités territoriales, à l’exception des régions et des départements, (où les élections sont prévues en mars 2021), en situation de quasi- blocage.
Entendons-nous : proches du terrain, les élus ont fait preuve d’initiative pour mettre en œuvre dans l’urgence ou soutenir des programmes d’aide et de soutien à destination des acteurs les plus affaiblies.  Mais il s’agit de gérer la crise. Pas de relancer l’investissement. 
Quels que soient les scénarios retenus pour les 30 000 communes pourvues au premier tour, et de façon plus aigüe pour les autres – qui comprennent la quasi-totalité des grandes métropoles, donc des moyens financiers - les mêmes questions se posent. 

Au risque de l’approximation, tentons de présenter un tableau : 

Avant les élections : dans les six mois qui précèdent, outre les règles du droit électoral qui restreignent notamment la communication, divers facteurs paralysent le lancement de nouveaux projets. Les mandats ayant une durée de 5 ans, les derniers mois sont concentrés sur la terminaison des chantiers en cours. Les citoyens doivent « voir du concret ». Tout un chacun a pu le constater dans son environnement.

Les ordres du jour des dernières assemblées précédant l’élection sont souvent, serait-ce pour tenir compte des délais de convocation, ou pour ne pas contraindre les futurs élus, arrêtés plusieurs semaines ou plusieurs mois avant l’élection, et n’engagent pas de nouvelles opérations significatives.

Pendant les élections, jusqu’à l’installation des nouveaux élus : en temps ordinaire, la loi limite les pouvoirs des exécutifs en place au traitement des affaires courantes et des urgences. 

Pour faire face à la situation créée par l’épidémie Covid-19, la loi du 23 mars 2020 décrétant et organisant l’état d’urgence sanitaire et l’ordonnance du 1er avril 2020 visant à assurer la continuité des institutions locales ont renforcé les pouvoirs des exécutifs : maires, présidents de métropoles, de communautés de communes ou d’agglomérations, présidents de syndicats mixtes, … pour décider et agir sans avoir à consulter leur assemblée délibérante.

Mais il s’agit des exécutifs en fonction à la date de l’élection. Et les textes précités recèlent des pièges, qui sont autant d’entraves à l’initiative. Ainsi prévoient-ils que les assemblées délibérantes peuvent revenir sur certaines des délégations accordées à l’exécutif, voire réformer les décisions prises par ce dernier.

Dans les collectivités - ou secteurs de collectivités tels qu’arrondissements de Paris - entièrement pourvues dès le premier tour, les nouveaux conseils ne sont pas installés et n’ont pu désigner leurs exécutifs, ni leurs représentants au sein des structures intercommunales, de leurs établissements publics ou de leurs satellites, qui recouvrent un champ large : syndicats mixtes, offices d’habitation, hôpitaux, CCAS, sociétés d’économie mixte, sociétés publiques locales, associations…  Le résultat du 1er tour restera acquis.  La Ministre de la cohésion des territoires vient d’annoncer une installation des conseils avant la fin du mois de mai. Acceptons-en l’augure. Car déjà se profile l’été, avec l’été les vacances, et avec les vacances, sauf mobilisation générale pour cause de crise, le report des décisions importantes à septembre. 

Pour les autres collectivités nul ne peut prédire à ce jour si et quand un deuxième tour pourra se tenir, dans le respect du principe de sincérité du scrutin. La durée de l’intérim reste pour elles imprévisibles. Or pour des raisons institutionnelles – les décisions essentielles requièrent un vote de l’assemblée délibérante- ou politiques – le souci respectable de ne pas anticiper sur les projets des nouveaux conseils, l’intérim se caractérise par l’immobilisme (pour qui a déjà vu des « couloirs « déserts, c’est en général une période où les personnels administratifs sont incités à prendre des congés), voire la paralysie lorsque les élus en fonction n’ont pas été réélus ou sont en ballotage. Avec un effet d’irradiation au sein des structures et organismes dans lesquelles les « anciens » représentants, eux-mêmes en sursis, s’en tiennent le plus souvent à une position d’abstention.

Quelles que soient les circonstances, il faut d’abord à une assemblée telle qu’un conseil municipal des délais incompressibles pour désigner son exécutif, puis ses représentants dans les structures que nous avons citées, à ces dernières pour désigner leurs propres organes de gouvernance, et aux nouveaux exécutifs pour organiser leurs directions et leurs services.

L’expérience montre qu’ensuite, en dehors des cas où les mêmes équipes et directions ont été reconduites, il existe un temps de latence et de préparation avant de décider et lancer de nouveaux projets. Ce temps se compte en mois.

Ajoutons au tableau que la prolongation de l’intérim et d’une France à deux vitesses électorales peut affecter les prises de décisions pour la mise en œuvre des projets, à forts enjeux financiers, menés en commun par plusieurs collectivités, pour certains avec le concours de la Région et de l’Etat.

A ceux qui évoquent un possible report du deuxième tour en mars 2021, en même temps que le scrutin régional, rappelons cette réalité : sur une durée de moins d’un an, la période restera une période d’intérim, pour les mêmes raisons et avec les mêmes effets néfastes. 
Revenons à un chiffre. Part des collectivités territoriales dans l’investissement public : 55 à 60 %. 

Vous avez dit soutien de l’activité par la commande publique ? Gageons que nos élus, après s’être adaptés à l’urgence, sauront mobiliser leurs équipes et leurs moyens pour mettre en œuvre à l’échelon local et à un rythme accéléré des programmes de relance, avec le soutien de l’Etat et de ses institutions financières.

Adamas Avocats Romain Granjon