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Chauffeurs VTC : à relation contractuelle spéciale, statut spécial ?

Par Muriel Pariente, associée, et Laura Berdugo Donnersberg, avocat, cabinet Ashurst

Le développement de nouveaux modes de consommation et l’émergence d’un phénomène sociétal et économique inédit, qualifié d’ubérisation de la société, posent nécessairement la question du champ d’application du droit du travail et notamment celle de la qualification des travailleurs utilisateurs de plateformes numériques. Travailleurs indépendants ou salariés ?

Pour la seconde fois, la chambre sociale de la Cour de cassation répond à cette question, dans un arrêt rendu le 4 mars dernier et réitère sa position s’agissant, cette fois, du lien entre un chauffeur VTC et la plateforme, pionnière en la matière, Uber : la relation contractuelle doit être requalifiée en contrat de travail.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation s’attache à sa jurisprudence classique en rappelant notamment que le lien de subordination est caractérisé par le pouvoir de donner des instructions, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner leur non-respect.

Utilisant alors la méthode classique du faisceau d’indices, la Cour de cassation s’appuie sur plusieurs éléments retenus par la cour d’appel et notamment l’absence de clientèle propre, de fixation de ses tarifs ou de ses conditions d’exercice, l’impossibilité pour le chauffeur de choisir son itinéraire, la possibilité pour la plateforme de déconnecter temporairement le chauffeur en cas de comportements problématiques.

Bien que cette décision était légitimement attendue et en droite ligne de l’arrêt Take Eat Easy (cass. soc. 28 novembre 2018, n° 17-20.079), il semble opportun de s’interroger sur les critères du lien de subordination et le choix de la Cour de cassation d’éluder totalement le critère de dépendance économique. En effet, la Cour exclut de prendre en considération le fait que le chauffeur n’ait aucune obligation de connexion et qu’aucune sanction n’existe en cas d’absence de connexions quelle qu’en soit la durée (à la différence de ce qui existait pour l’application Take Eat Easy). Rappelons par ailleurs qu’en application de l’article L.8221-6 du Code du travail, le lien de subordination juridique doit être permanent. Pour la Cour de cassation, la liberté reconnue au travailleur n’est aucunement exclusive d’un lien de subordination et reste extrêmement relative, compte tenu de la réalité économique de son activité.

Cette reconnaissance du statut de salariés à ces travailleurs pose de nombreuses questions pratiques : quelle convention collective appliquer ? Comment déterminer la rémunération, les heures de pauses, les indemnités repas, de travail de nuit et dominical ? Comment appliquer les dispositions relatives à la durée du travail ?

La difficulté relève du fait que le droit du travail français est uniquement construit de manière binaire, travailleurs indépendants ou salariés, alors même que l’évolution économique que nous connaissons nous place dans une situation intermédiaire qu’il convient nécessairement d’encadrer.

Si le législateur, par les lois du 8 août 2016 et 24 décembre 2019 insère dans le Code du travail des dispositions relatives à la responsabilité sociale des plateformes numériques, définissant ainsi aux articles L.7342-1 et suivants du Code du travail les droits et obligations de la plateforme et des travailleurs avec lesquels elle est en relation, la question de la subordination des travailleurs reste toujours en suspens.

À l’évidence, et sauf à vouloir mettre à mal la nouvelle réalité économique, il devient urgent de légiférer sur ce nouveau statut, à l’instar de ce qui existe dans les pays voisins, notamment au Royaume-Uni, en Belgique ou en Australie. Nul doute néanmoins que les magistrats continueront à opposer une certaine résistance au législateur dans sa volonté de créer un statut intermédiaire et souhaiteront voir perdurer la jurisprudence existante. 

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