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Avocats Actions Conjointes, quand l’Ordre facilite l’accès aux contentieux de masse

Par Laurence Garnerie

« Ensemble, on se fait mieux entendre » : le slogan est destiné aux justiciables, mais l’outil qu’il illustre vise principalement à élargir le champ d’actions des avocats, en leur permettant d’accompagner des contentieux de masse. Un point sur la toute nouvelle plateforme Avocats Actions Conjointes.

Congrès des avocats, le 9 octobre 2015. Le ministre de l’Économie met en garde les avocats : « le vrai risque, c’est que la révolution numérique se fasse sans vous » . En réalité, ces derniers n’ont pas attendu les incantations d’Emmanuel Macron pour prendre le sujet à bras le corps. Annoncée il y a un peu moins d’un an, la plateforme Avocats Actions Conjointes a été dévoilée au public le 12 novembre dernier.

Contentieux de masse
Ne vous y trompez pas. Il ne s’agit pas là d’un outil pour générer et gérer des actions de groupe. « Les dossiers présentés sur la plateforme se distinguent de l’action de groupe au sens de la loi Hamon qui, elle, est confiée à une association de consommateurs, exercée sans mandat, sur autorisation judicaire préalable et ne concerne que des litiges de droit de la concurrence ou de la consommation impliquant la réparation d’un préjudice patrimonial résultant d’un dommage matériel » , explique Delphine Pujos, membre du conseil de l’Ordre et secrétaire de la commission Déontologie du barreau de Paris. Une aubaine pour les avocats qui peuvent ainsi sortir du cadre limité de l’action de groupe à la française. Pourront faire l’objet d’une action sur cette nouvelle plateforme, tous litiges concernant un grand nombre de victimes, dès lors que la responsabilité d’un professionnel peut être mise en cause.

Si ce nouveau service proposé par l’Ordre du barreau de Paris n’a rien à voir avec une action de groupe, il s’agit bien, en revanche, d’un outil pour capter les contentieux de masse. « Cela faisait partie de la feuille de route fixée par le bâtonnier Pierre-Olivier Sur, complète Delphine Pujos. Investir le monde du numérique et permettre à l’avocat d’occuper la place qui est la sienne dans les contentieux de masse, en faisant usage des dispositions légales déjà existantes » .

Concurrence aux « braconniers du droit »
Légalement, c’est donc sur les bases de l’action conjointe ou du co-mandat et des possibilités de sollicitation personnalisée que s’appuie ce système. En pratique, c’est surtout grâce à Internet que cette offre a été rendue possible. Une révolution technique dont certains s’étaient saisis avant le barreau et qui sont dans le collimateur de l’institution. « Sans qu’il s’agisse de l’objectif premier cela peut limiter le développement des braconniers du droit » , poursuit Delphine Pujos. Pour elle, la plateforme Avocats Actions Conjointes a deux avantages de taille sur ses concurrents : d’une part, il ne s’agit pas une société commerciale, mais un service gratuit de l’Ordre, offrant une meilleure rémunération aux avocats et, d’autre part, les procédures se font dans le respect des principes déontologiques. Un comité ad hoc y veille, ce qui est une garantie pour le justiciable et pour l’avocat. Elle permet surtout à un avocat qui aurait entre les mains un dossier susceptible de prendre de l’ampleur sur la base d’une action conjointe d’en faire publicité – non au sens commercial mais au premier sens du terme.

Un site clair et transparent
En pratique, ce site d’intermédiation est accessible depuis l’url http://avocats-actions-conjointes.com. Navigation fluide et éléments pédagogiques claires : il explique, pas à pas, aux avocats qui voudraient se lancer comment ouvrir une action conjointe et aux justiciables comment en rejoindre une. Honoraires, profil de l’avocat, indemnités susceptibles d’être attendues, pièces nécessaires, tout y est précisé de manière transparente. Une hotline est également mise disposition des utilisateurs qui pourraient avoir des questions techniques complémentaires via l’adresse : aac@avocatparis.org.

Le scandale Volkswagen, les girardindons et les résidences de tourisme LMNP, Demessine, Censi Bouvard : pour l’heure, trois actions en cours sont déjà présentées sur la plateforme. Deux autres devraient suivre d’ici peu. S’il y a fort à parier que la majorité des actions émanera de propositions d’avocats, il n’est pas pour autant exclu que justiciables ou associations de consommateurs portent un dossier sur le site. Dans ce cadre, le comité ad hoc, après l’avoir évalué, mettra en place un appel d’offre pour déterminer l’avocat qui mènera l’action.

Les instigateurs de la plateforme misent sur le succès de ce service qui ouvre un nouveau champ d’action aux avocats et atteste que modernité n’est pas incompatible avec respect des règles déontologiques. Et Delphine Pujos de préciser : « Cette plateforme ne rapporte rien à l’ordre et tout à l’avocat qui profite pleinement des bénéfices de son activité » .


Sophie Biri-Julien

Cet article a été publié dans la LJA 1231 du 16 novembre 2015
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