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Politique de concurrence & transformation numérique : le point de vue… de Frédéric Jenny

Par Guide du numérique

Politique de concurrence  &  transformation numérique : le point de vue… Frédéric Jenny, professeur d’économie à l’ESSEC et co-directeur du Centre Européen de Droit et d’Économie de l’ESSEC (CEDE), Président du Comité de la concurrence de l’OCDE

Suite à la première édition du Guide du Numérique 1 publié en 2017, le cabinet DLA Piper prolonge la réflexion sur l’évolution de la transformation digitale avec la publication de ce deuxième ouvrage. Cet article en est extrait.

Le numérique biaise le jeu de la concurrence en créant des marchés dans lesquels entreprises, indépendants et particuliers sont en capacité d’offrir des services similaires (UBER, BLABLACAR, AirBNB…) sans être cependant soucis aux mêmes règles. Comment peut-on restaurer une concurrence non biaisée ? Est ce souhaitable ?

Le numérique transforme la concurrence. Les plates-formes multi-faces permettent à des indépendants offreurs potentiels de service de satisfaire les demandes des consommateurs en dehors du cadre classique d’une entreprise hiérarchique. Le service ainsi offert, par le biais de la coopération, s’il n’est pas exactement le même que celui offert par les entreprises classiques est voisin et le concurrence.

Le cadre juridique qui s’applique aux plates-formes numériques et à la coopération entre leurs utilisateurs peut être différent de celui qui s’applique aux entreprises classiques (le droit du travail peut ne pas s’appliquer aux plates-formes) tant parce que l’organisation de l’activité n’est pas la même que parce que l’activité des entreprises classiques est soumise à des régulations sectorielles qui ne s’appliquent pas facilement à des plates-formes numériques ou à des indépendants mettant à disposition certains de leurs actifs.

Le cadre juridique doit être neutre entre les formes de production d’un même type de service tant pour faciliter une meilleure utilisation des ressources que pour promouvoir la concurrence et l’innovation. Il faut revoir le cadre juridique de l’activité économique trop étroitement centré sur la notion de société, éliminer les régulations sectorielles là où elles sont abusivement restrictives de concurrence et, ne gardant que celles qui ont une véritable rationalité économique, les rendre applicables aux différentes formes de production d’un service.

Comment appréhender de manière plus efficace les enjeux liés à la concentration dans le secteur du numérique ?

La concentration dans le numérique n’est pas néfaste si elle résulte d’une concurrence effective portant sur l’innovation et la productivité et si elle préserve la possibilité d’émergence de concurrents. Mais elle peut aussi résulter de pratiques ou de transactions anticoncurrentielles (l’absorption par une entreprise dominante de start-up afin d’empêcher l’éclosion de concurrents potentiels), d’effets de réseaux ou de taille qui donnent à certaines entreprises un avantage impossible à rattraper pour les concurrents (Amazon) ou, encore, d’un accès privilégié à des données personnelles permettant d’exploiter les consommateurs à leur insu ou de mettre en œuvre des stratégies d’exclusion de concurrents (Facebook ou Google). La vigilance s’impose car la domination du numérique peut se faire au détriment de l’efficacité économique et de l’innovation mais également avoir des effets délétères au-delà du strict domaine économique. Il faut adapter le droit de la concurrence à la spécificité du secteur numérique, par exemple en baissant les seuils de contrôle des concentrations externes ou en modifiant leur base, en se montrant plus vigilant sur les abus d’exploitation des consommateurs ou d’exclusion des concurrents par les entreprises dominantes, en développant des instruments appropriés pour les marchés ou les faces de marché sur lesquels les prix sont nuls. Mais limiter par principe la taille des entreprises du numérique pourrait porter atteinte à la diffusion d’innovation ou à l’efficacité économique.

DLA Piper ESSEC Frédéric Jenny