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« Un souffle nouveau » au sein du barreau de Paris

Par Anne Portmann - P. Hoffman et V. Bousardo

Pierre Hoffman et Vanessa Bousardo ont pris les fonctions de bâtonnier et vice-bâtonnière du barreau de Paris au 1er janvier 2024. Ils détaillent à la LJA les grands objectifs de leur mandat.

Pourquoi avez-vous décidé de candidater ensemble ?

Nous exerçons depuis une vingtaine d’années, plutôt en droit pénal [pour Vanessa Bousardo, NDLR], et exclusivement en droit de la propriété intellectuelle [pour Pierre Hoffman]. Nous sommes rencontrés par nos mandats respectifs, ayant été élus au conseil de l’Ordre avec quelques années d’écart. De cette rencontre est née l’idée de partager nos locaux puis, de notre proximité, de notre complémentarité et notre parfaite entente, le choix de présenter notre candidature aux fonctions de bâtonnier et vice-bâtonnière.

Ces dernières années, du fait des crises successives et de l’évolution de la société comme de notre métier, des déménagements des tribunaux et des institutions, les avocates et avocats n’ont jamais été aussi nombreux à se sentir isolés, et certains considèrent que l’Ordre ne fait pas assez pour eux. Nous souhaitions trouver une réponse à cela, et nous poursuivons l’objectif qu’à l’issue de notre mandat, il y ait autant de candidats et autant de votants qu’il y a dix ans. Notre force, c’est notre collectif. L’idée de « souffle nouveau » nous vient précisément de là.

Avez-vous prévu une répartition
de vos rôles respectifs ?

Tout au long de notre campagne et d’autant plus maintenant que nous sommes en fonction, nous prenons nos décisions collégialement. Il n’est pas question, pour nous, d’exercer un mandat séparément. S’agissant du traitement des dossiers qui nous incombe, nous n’avons pas défini de distinction entre nos missions et fonctions, sauf quelques évidences qui relèvent des compétences de chacun.

Vanessa, en tant que présidente de l’EFB, du pôle déontologie du conseil de l’Ordre mais également présidente de l’Observatoire international des avocats en danger (OIAD), porte grand intérêt à la formation initiale et se trouve très engagée dans la défense des droits fondamentaux, alors que les dossiers économiques et les affaires publiques reviennent plutôt à Pierre. Nous partageons évidemment un certain nombre de vœux d’actions, tels que le renforcement de la lutte contre le harcèlement et les discriminations au sein des cabinets, le soutien que nous devons apporter à nos consœurs et confrères en matière de parentalité ou encore la préparation des jeux Olympiques et Paralympiques, susceptibles de grandement transformer notre ville. Toutefois, nous n’avançons pas seuls. Les priorités de notre mandat sont réfléchies et discutées avec l’ensemble du conseil de l’Ordre, et nous avons fait le choix d’être entourés d’une équipe pour nous aider.

Quelles sont les premières actions
que vous voudriez mettre en place ?

En premier lieu, lutter contre les discriminations et le harcèlement au sein de notre barreau, constat étant fait que la COMHADIS n’est pas assez saisie. Soucieux de redonner confiance à nos consœurs et confrères et de renforcer nos moyens d’action pour protéger les victimes, nous proposerons très prochainement un nouveau dispositif d’alerte et de recueil des signalements qui sera confié à un prestataire extérieur « tiers de confiance » reconnu dans le domaine. L’objectif ? Libérer la parole des victimes en leur permettant l’anonymat le plus complet. Des « cabinets refuge » seront également déployés pour permettre aux victimes d’être accueillies et domiciliées temporairement au sein d’un cabinet partenaire de l’Ordre.

Par ailleurs, la maternité reste encore trop souvent compliquée, et même critique, pour de nombreuses avocates, quel que soit leur statut, dépourvues de solutions concrètes adaptées. C’est un chantier au long cours, mais peut-être celui qui nous tient le plus à cœur. Nous allons créer un pôle « Zen parentalité », constitué d’un collectif de consœurs et confrères qui pourront assurer les renvois de celles et ceux qui seraient empêchés du fait de leur congé parentalité. Une garderie d’urgence et des crèches seront également très bientôt mises en place.

Enfin, il nous paraît essentiel que les avocates et avocats parisiens puissent trouver, dans l’Ordre, un repère fiable. Le barreau est une famille. Personne ne doit rester sur le côté, nous avançons ensemble. Plusieurs réformes ordinales permettront d’ouvrir les portes de nos institutions, du conseil de l’Ordre et des commissions ordinales pour montrer et valoriser tout le travail qui y est fait. En cela, nous allons permettre à des avocats tirés au sort de venir siéger aux commissions ordinales et à deux avocats honoraires d’assister au conseil de l’Ordre avec voix consultative.

Vous avez indiqué qu’en termes de développement des cabinets d’avocats, la priorité vous paraissait être la création de passerelles avec les entreprises. Expliquez.

Nous avons déterminé trois priorités. Premièrement, nous souhaitons recréer des synergies économiques entre les cabinets et résorber la fracture économique et numérique qui les touche, qui ne peut perdurer. Nous développerons des partenariats avec des acteurs économiques clés, comme la CCI, et organiserons sous la forme de rendez-vous récurrents, les « Rencontres du barreau », dont l’objectif est de créer des synergies entre les avocats, les directions juridiques et les acteurs économiques. En parallèle, pour faciliter l’installation des consœurs et confrères désireux de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale, nous mettons en place des « référents installation ».

En second lieu, nous souhaitons faire rayonner encore davantage la marque « Paris, place de droit », et notamment dans le cadre des jeux Olympiques et Paralympiques, alors que l’on peut s’attendre à un accroissement de l’activité judiciaire. Dans ce cadre, nous nous mettrons au service du « vaisseau France », et ce, grâce à la mobilisation de nos consœurs et confrères.

Enfin, il nous paraît indispensable de proposer aux 34 000 avocats de Paris un outil d’intelligence artificielle accessible afin de faciliter le quotidien de chacun. Cette solution de recherche juridique permettra aux avocates et avocats de se concentrer sur les tâches à haute valeur ajoutée.

Quelle est votre position concernant la confidentialité des avis des juristes d’entreprise et pensez-vous
qu’il faut revenir sur l’avocat en entreprise ?

Notre position est parfaitement claire, nous y sommes favorables. Le 30 janvier dernier, nous avons soumis au conseil de l’Ordre du barreau de Paris un vote sur l’approbation ou non des propositions de loi déjà déposées. Il a, de nouveau, voté favorablement à ces projets, en rappelant notamment son souhait de permettre la création du statut de l’avocat en entreprise. Il a aussi rappelé que cet accord ne devait pas aboutir à la création d’une profession « pararéglementée », annexe à la nôtre et que nous ne souhaitons pas.

Le legal privilege constitue un enjeu essentiel pour les entreprises et les professionnels du droit français, alors que Paris, en tant que place de droit, fait aujourd’hui face à une concurrence étrangère de plus en plus vivace. L’instauration du legal privilege pour les juristes d’entreprise permettrait de pallier ces disparités.

Pour ce qui est de l’avocat en entreprise, nous le réaffirmons, cela ne doit pas être un tabou. Une telle évolution permettrait de moderniser notre profession et, une fois encore, d’accroître la compétitivité des entreprises françaises en les plaçant sur un pied d’égalité avec les entreprises où, dans d’autres pays, il est déjà une réalité. Il offrirait en outre des débouchés aux jeunes avocats qui sont trop nombreux à quitter la profession dès le CAPA obtenu, ou à peine quelques années après.

Quelles autres actions vont être menées
en direction du barreau d’affaires ?

Nous souhaitons accompagner plus avant le barreau d’affaires, en promouvant notamment une plus grande diversification du service de l’exercice professionnel par catégories de cabinet. Cela passera notamment par la mise en place d’un bureau spécial, dédié à ces cabinets qui ont leurs questionnements propres et leurs difficultés spécifiques. Il ne s’agit, évidemment, en aucun cas de créer une déontologie parallèle, mais bien de reconnaître que la gestion de ces cabinets impose des contraintes et des opportunités différentes. De même, leur marché n’est pas identique à celui des autres structures. Nous devons en tenir compte et les aider à assurer la promotion de leur intérêt, qui est celui de tout le barreau.

Ainsi que vous l’avez souligné, les départs
des avocats vers l’entreprise sont beaucoup plus nombreux. Faut-il mener des actions pour améliorer l’attractivité de la profession et lesquelles ?

Il faut toujours améliorer l’attractivité de notre profession, qu’il s’agisse de répondre à un questionnement démographique ou simplement améliorer le bien-être des avocates et avocats. Toute notre démarche orientée vers la parentalité, la lutte contre le harcèlement, etc., favorise le respect de l’équilibre vie professionnelle / vie personnelle. Il en est de même de l’orientation pro business que nous souhaitons impulser. Elle doit permettre de stabiliser certaines structures, car personne ne peut s’épanouir dans une profession au travers de laquelle la stabilité économique n’est pas garantie. Avocat est une vocation, que nous partageons toutes et tous, c’est un honneur et une fierté mais cela ne doit pas être un sacerdoce.

Par-delà cette évidence, nous ne croyons pas qu’il faille regretter ces départs vers les entreprises. Nous savons que, à l’avenir, les carrières seront de plus en plus fluides. Les jeunes évolueront de l’entreprise aux cabinets, des administrations aux associations, etc. Aujourd’hui, 42 % des juristes dans les start-up ont obtenu le CAPA. Nous en sommes fiers. Cela renforce la culture juridique commune et, nous en sommes persuadés, conduit ces anciens confrères et consœurs à se tourner vers nous.

Cette perméabilité et culture commune ne doivent cependant pas conduire à une difficulté démographique pour nos structures qui doivent pouvoir bénéficier de collaboratrices et collaborateurs en nombre suffisant, ces derniers devant eux-mêmes pouvoir choisir la structure qui les accueille dans le domaine de compétences qui leur convient le mieux. De même, les omissions ne doivent jamais être subies, mais bien relever d’un parcours professionnel volontaire et cohérent. Il est inacceptable que des avocats, et surtout des avocates, se retirent de la profession pour avoir été harcelés. Une telle situation est intolérable, en termes de déontologie, d’éthique comme, plus prosaïquement, de perte de compétences pour notre profession.

Êtes-vous favorable à la simplification des passerelles entre barreau et magistrature qui semblent devenir de plus en plus fréquentes, avec le PNF notamment ?

Bien sûr ! Nous y sommes évidemment favorables. Le constat est clair : les passerelles existantes sont trop étroites et leur simplification nécessaire. Nous avons besoin de magistrats en plus grand nombre. Les États généraux de la Justice de 2021-2022 ont permis de faciliter ces passerelles. Le rapport qui fut alors remis au président de la République insistait notamment sur l’« utilité de l’intégration des magistrats ayant exercé la profession d’avocat, compte tenu de leur formation et de leur connaissance intime du fonctionnement de l’institution judiciaire ». Nous y travaillerons également. C’est en développant un écosystème de la décision juridique que nous renforcerons les ponts entre les grandes professions du droit. T