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Test clinique, traitement : quelle part de liberté pour les blouses blanches ?

Par Gilles Bigot, associé, cabinet Winston & Strawn

Quels sont les pouvoirs exacts des médecins en France ? Peuvent-ils lancer des essais cliniques ? Choisir librement un traitement expérimental pour leurs patients ? Le généraliser dans le centre qu’ils dirigent ?

En ces temps de pandémie, une figure s’est illustrée par son indépendance d’esprit et ses propos hauts en couleur, qui ont d’ailleurs fait le tour des réseaux sociaux et des médias plus officiels, suscitant tour à tour espoir et indignation. Cette figure c’est celle du Professeur Didier Raoult, une des sommités mondiales du monde de la virologie, qui depuis maintenant plusieurs semaines, affirme, sans ambages qu’il existe un traitement efficace et connu contre le coronavirus Covid-19, la chloroquine. La molécule miracle est en réalité un antipaludéen commercialisé depuis 70 ans, et utilisé dans le traitement préventif et curatif du paludisme comme son analogue, l’hydroxychlroquine (Plaquenil). Il s’appuie alors sur trois publications des équipes chinoises travaillant sur le Covid-19 et disponibles dans la littérature. Son parcours depuis lors, qui contraste fortement avec la communication des plus hautes autorités de santé en France, et notamment avec celle du Ministre des Solidarités et de la Santé, interroge. Quels sont les pouvoirs exacts des blouses blanches dont il est dit qu’elles inspirent chaque décision sanitaire prise par l’exécutif face à la pandémie galopante ? Dans quel cadre législatif et réglementaire peuvent-elles agir ?

Un franc-tireur ? 

Revenons à notre chercheur inspiré. Son enthousiasme s’est heurté au scepticisme quasi généralisé de ses pairs et des autorités de la santé. Il en fallait plus pour arrêter le microbiologiste, directeur de l’Institut Hospitalo-Universitaire Méditerranée Infection, un centre de recherches et de soins de pointe spécialisé dans les maladies infectieuses. Après avoir vérifié l’efficacité in vitro de cette molécule sur le coronavirus, le Professeur Didier Raoult a démarré un essai clinique sur 24 patients. Avec le protocole mis en place, combinant l’hydroxychloroquine avec un antibiotique, l’azithromycine, la charge virale baisse très significativement au bout de 6 jours. Les résultats sont prometteurs. « Des études réduites et non randomisées, réalisées à partir d'observations, ne nous apporteront pas les réponses dont nous avons besoin », a averti le directeur général de L'Organisation mondiale de la santé (OMS), M. Tedros Adhanom Ghebreyesus, au cours d'une conférence de presse virtuelle depuis Genève, sans citer expressément l’essai marseillais. 

Un essai autorisé

En réalité, cette étude ouverte, comportant des groupes témoins répartis sur plusieurs sites hospitaliers, s’est déroulée en conformité avec la réglementation applicable aux Recherches impliquant la personne humaine (RIPH), à savoir le décret n° 2016-1537 du 16 novembre 2016 d’application de la loi n° 2012-300 du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine (dite loi Jardé), telle que modifiée par l’ordonnance n° 2016-800 du 16 juin 2016, publiée le 17 novembre 2016 au Journal Officiel et entrée en application le 18 novembre 2016. « Nous avons soutenu et autorisé l’essai du Professeur Raoult avec l’appui de l’Agence Nationale de sécurité du médicament et des comités de protection des personnes » a d’ailleurs déclaré le directeur général de la santé, M. Jérôme Salomon. En effet, pour démarrer, un essai clinique doit avoir obtenu un avis favorable du Comité de protection des personnes (C.P.P.) compétent régionalement et une autorisation de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). 

Une procédure d’autorisation accélérée pour la prise en charge de la pandémie Covid-19

Dans le cadre de la pandémie, le gouvernement a indiqué tout faire pour que les essais cliniques soient les plus rapides possibles. De fait, des procédures accélérées pour l'évaluation initiale des demandes d'autorisations ont été mises en place par l'ANSM, la Direction générale de la santé (DGS) et l'ensemble des Comités de protection des personnes (CPP). Le promoteur de l’essai clinique doit veiller inclure dans le titre de la recherche la mention de l'acronyme officiel de l'infection par SARS-CoV-2 (Covid-19). Pour soumettre son projet par mail, il doit également mentionner « Covid-19 » dans l'objet du mail. Afin de garantir le bon suivi de ces dossiers, contact doit être pris avec l'ANSM et la DGS afin de prioriser l'essai clinique, orienter l'évaluation et établir si des informations additionnelles sont nécessaires. L’essai réalisé à Marseille a été autorisé en 24 heures, du jamais vu, de mémoire de Ministère des Solidarités et de la Santé.

Des données randomisées attendues

Un nouvel essai randomisé -protocole expérimental aux fins d’évaluation d’un médicament d’une thérapie ou d’une action de prévention- de grande ampleur portant sur plusieurs centaines de patients et sur plusieurs sites hospitaliers situés notamment à Paris, Lille, Nantes, Strasbourg et Lyon, sous le contrôle de l’INSERM, vient d’être autorisé. Cet essai clinique, qui fait partie d’une étude européenne baptisée Discovery, vient de démarrer, sous la direction de l’infectiologue Florence Ader. Quatre traitements expérimentaux contre le Covid-19 -dont l’hyroxychroloquine-, vont être testés. Cet essai clinique inclut 3200 patients dont 800 patients hospitalisés en France. D’ici une quinzaine de jours, on devrait donc disposer de « données consolidées » sur la piste de traitement marseillaise, a annoncé le Ministre des Solidarités et de la Santé, précisant que le gouvernement mettait « tout en œuvre pour vérifier l’efficacité de la chloroquine ». 

Un protocole spécifique

Notre infectiologue et son équipe continuent à ruer dans les brancards. L’essai ne prévoit pas la combinaison entre hydroxychloroquine et azithromycine. « Nous pensons qu’il n’est pas moral que cette association ne soit pas inclue systématiquement dans les essais thérapeutiques concernant le traitement de l’infection à Covid-19 en France », écrivent-ils dans leur dernier communiqué de presse largement repris par la presse, le 22 mars dernier. Dans la foulée, revendiquant leur fidélité au serment d’Hippocrate qu’ils ont prêté, ils choisissent également de largement communiquer sur le protocole de soins qu’ils ont mis en place, accompagné de sa posologie exacte : tester systématiquement tous les malades fébriles qui consultent. Pour tous les patients infectés, dont un grand nombre peu symptomatiques ont des lésions pulmonaires au scanner, de proposer au plus tôt de la maladie, dès le diagnostic, un traitement associant hydroxychloroquine et azithromycine, dans le cadre des précautions d’usage de cette association (avec notamment un électrocardiogramme à Jour 0 et Jour 2) et hors Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) (l’autorisation de mise sur le marché pour ces produits pharmaceutiques étant délivrée par l’Agence Nationale de Sécurité (ANS)). Dans les cas de pneumonie sévère, un antibiotique à large spectre est également associé.

Le principe : la liberté de prescription du médecin

Cette politique massive de tests est en rupture avec les consignes nationales qui réservent les tests aux personnels de santé ou aux personnes les plus fragiles. Dans quelle mesure un praticien peut-il choisir un protocole de soins et l’appliquer dans le centre qu’il dirige sans se conformer à la stratégie nationale ? La réponse se trouve à l’article 8 du code de déontologie médicale qui pose le principe de liberté de prescription du médecin, (repris à l’article R.4127- 8 du code de la santé publique). Dans les limites fixées par la loi, et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance. Les « données acquises de la science sont considérées comme reflétant ce qu’il y a lieu de faire dans une situation précise conformément aux données admises par la communauté médicale. Il doit, par ailleurs, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire, à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins pour son patient. 

Le cadre réglementaire des prescriptions hors AMM

Pour être commercialisé, un médicament fabriqué industriellement doit bénéficier d’une AMM, délivrée par l’ANS. Si de nouvelles indications thérapeutiques apparaissent pour un médicament bénéficiant déjà d’une AMM, une nouvelle demande d’AMM doit être déposée par le laboratoire. Cette demande doit être appuyée sur des essais cliniques, lesquels comportent plusieurs phases incompressibles. Une nouvelle AMM pourrait donc être en théorie demandée pour la chloroquine si elle se révèle efficace pour lutter contre le Covid-19. Cependant, la procédure demandera des mois, voire des années.  « Nous obéissons à notre devoir de médecin. Nous faisons bénéficier à nos patients de la meilleure prise en charge pour le diagnostic et le traitement d’une maladie. Nous respectons les règles de l’art et les données les plus récemment acquises de la science médicale », écrivent les blouses blanches de Marseille. Ce faisant, ils se réfèrent en réalité au cadre légal applicable aux protocole de soin hors AMM. En effet, lorsque le strict respect de l’AMM ne correspond pas à la meilleure prise en charge du patient, le prescripteur a la possibilité d’y déroger. Il ne peut cependant le faire qu’en l’absence d’alternative pour le patient et en justifiant sa prescription. En effet, les lois n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 et n° 2014-892 du 8 août 2014 sont venues encadrées la pratique de ces prescriptions hors AMM. Une prescription hors AMM n’est possible qu’en l’absence d’alternative médicamenteuse bénéficiant d’une AMM ou d’une Autorisation Temporaire d’Utilisation (ATU), sous réserve de l’établissement d’une Recommandation Temporaire d’Utilisation (RTU) par l’ANSM. En l’absence de RTU, le prescripteur doit alors justifier le caractère indispensable du traitement au regard des données acquises de la science dans le but d’améliorer ou stabiliser l’état clinique du patient. L’argumentation de cette dérogation doit figurer dans le dossier médical.. Le patient doit être informé du cadre hors AMM. 

La responsabilité encourue dans la cadre de prescriptions hors AMM

Le médecin prescripteur est tout d’abord tenu de respecter ses obligations déontologiques, et plus particulièrement celle de dispenser des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises par la science. Du point de vue de sa responsabilité civile, le recours à un traitement pour une autre indication que celle pour laquelle il a bénéficié d’une AMM n’est pas en tant que tel fautif. Cependant, les juges ont entendu renforcer le devoir d’information du médecin envers son patient. Le médecin pourra être tenu responsable sur le plan civil pour défaut d’information, ou encore, voir sa responsabilité pénale engagée pour homicide involontaire, pour mise en danger d’autrui dans le cadre d’une telle prescription. A noter que la délivrance d'une AMM n'exonère pas les professionnels de leur responsabilité. En effet, le titulaire de l’AMM d'un médicament a l'obligation de procéder à la vérification de la matière première devant servir à sa fabrication sans pouvoir s'en remettre aux contrôles exercés auparavant. Il doit respecter certaines obligations, telles que : ne pas faire de publicité de l’usage hors AMM de son médicament, veiller au bon usage de son médicament, ou bien encore recueillir les informations sur l’usage non conforme puis, les faire remonter aux autorités nationales compétentes.

C’est donc bien l’homme de l’art qui détermine le traitement qui lui semble le plus judicieux. Et le Professeur Didier Raoult, a déjà remporté une première victoire. Dans des hôpitaux parisiens, la chloroquine commence à être utilisée et certains des sceptiques d’hier se disent convertis. En France, le Haut Conseil de la Santé Publique vient de préconiser que la chloroquine puisse être prescrite dans les cas graves et sévères, en milieu hospitalier et sur décision collégiale des médecins. Se référant à cette recommandation, le Ministre des Solidarités et de la Santé a d’ailleurs annoncé la publication prochaine d’un arrêté encadrant ce traitement dans le cadre du Covid-19. La décision gouvernementale devrait donc indiquer l’utilisation de ce traitement exclusivement en cas de forme grave du Covid-19, en milieu hospitalier, après une décision collégiale des médecins. Il exclurait donc toute prescription par les médecins en ville en l'absence de données probantes.
 

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