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Much ado about nothing1 , ou de la responsabilité pénale des décideurs durant le Covid-19

Par Thierry DALMASSO et Joséphine de SONNEVILLE, cabinet DALMASSO AVOCATS, avec la collaboration de Julia SKOP et François LEGER

Sous l’impulsion des élus et des chefs d’entreprise, la responsabilité pénale des décideurs, publics comme privés, est au coeur des débats juridiques durant la crise sanitaire.

L’approche de la fin du confinement strict a renforcé ce débat, à tel point que le Sénat s’est interrogé sur la possibilité de modifier les conditions d’engagement de la responsabilité pénale dans le cas des infractions involontaires, et a proposé l’amendement suivant 2 : "nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée (...) du fait d'avoir soit exposé autrui à un risque de contamination par le coronavirus SARS-CoV-2, soit causé ou contribué à causer une telle contamination".

Si plusieurs solutions de rédaction ont été envisagées par le Sénat, puis par l’Assemblée Nationale, puis par la Commission Mixte Paritaire, une constante demeure : il n’a jamais été question d’alléger réellement la responsabilité pénale des décideurs ; il s’agit d’une réforme strictement politique.

Aussi, dès l’amendement adopté par le Sénat, il a été précisé que la responsabilité des décideurs pourrait toujours être engagée en cas :

- de faute intentionnelle ;

- de violation manifestement délibérée des mesures prises en application de l'état d'urgence sanitaire, ou, plus généralement, des mesures prévues par la loi ou le règlement ; - de violation manifestement délibérée d’une mesure de police administrative prise en application du même chapitre ou d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

Ainsi, aucune des rédactions proposées ne modifie véritablement la responsabilité pénale des décideurs et cela est particulièrement vrai dans la version finale, adoptée par la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et publiée ce jour.

Le nouvel article L.3136-2 du Code de la santé publique, créé spécialement à cette occasion et inséré dans le titre relatif aux menaces et crises sanitaires graves dispose ainsi que : « L'article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l'auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l'état d'urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu'autorité locale ou employeur. »

La double redondance de cet article est frappante. 

D’abord, parce qu’il renvoie expressément et directement à l’article 121-3 du Code pénal, lequel impose déjà une appréciation in concreto de la faute du responsable pénal : les situations de crise, sanitaire notamment, sont donc couvertes par le Code pénal. 

Ensuite, parce qu’il reprend in extenso les éléments d’appréciation déjà listés à l’alinéa 3 de l’article 121-3 du Code pénal, lequel caractérise le délit non intentionnel « s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». 

Cet article qui n’ajoute rien à l’état de droit existant, ne supprime pas plus les autres conditions d’engagement de la responsabilité pénale : l’alinéa 4 de l’article 121-3 concernant la faute qualifiée demeure donc applicable. 

Aussi, si cette réforme fait croire au public concerné un assouplissement de sa responsabilité pénale, il n’en est rien. 

C’est d’ailleurs ce qu’induit, presque ironiquement, le Conseil Constitutionnel, interrogé par les sénateurs sur la conformité de l’article L.3136-2 du Code de la santé public, dans sa décision du 11 mai 2020 : « les dispositions contestées ne diffèrent donc pas de celles du droit commun et s’appliquent de la même manière à toute personne ayant commis un fait susceptible de constituer une faute pénale non intentionnelle dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire ». 

En revanche, cette réforme crée inévitablement une confusion quant à l’articulation des deux dispositions : les citations à venir pourront nous éclairer, mais le spécial dérogeant au général, l’article L.3136-2 du Code de la santé publique fondera très certainement les prochaines poursuites pour infractions involontaires, avant que l’article 121-3 du Code pénal ne reprenne sa place lors du « retour à la normale » tant attendu. 

Le moyen le plus sûr de ne pas engager sa responsabilité pénale, notamment pour un chef d’entreprise, reste donc, quel que soit le contexte de crise, la mise en oeuvre d’une chaîne de délégations de pouvoirs solide, permettant aux acteurs de l’hygiène et de la sécurité d’intervenir au plus près de la réalité du terrain, afin de prendre des mesures adéquates et efficaces contre la contamination, ou, plus généralement, les infractions involontaires. 

Dans le cas où, faute de « moyens », la délégation de pouvoirs serait jugée invalide, la responsabilité pénale remonterait au chef d’entreprise ou au subdéléguant, là aussi dans les termes du droit commun. 

Notes :

1- Beaucoup de bruit pour rien, pièce de William SHAKESPEARE, 1600
2- Amendement n°COM-51 du Projet de loi de prorogation de l’état d’urgence présenté le 3 mai 2020 par Monsieur BALSE

 

Thierry Dalmasso