Connexion

L’action de groupe : vers un changement d’identité après 10 ans d’existence ?

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

L’action de groupe, bien que présentée comme novatrice et porteuse d’espoir pour de nombreuses personnes (consommateurs, patients, etc.) peut devenir un instrument dangereux si les conditions de sa mise en œuvre sont trop étendues.

Introduite par la loi du 17 mars 2014 (dite loi Hamon), dans des domaines limités, cette procédure permet à des individus, liés par un même préjudice, de se regrouper pour faire valoir leurs droits. Si l’objectif est louable, il existe de nombreux exemples d’abus de cette procédure outre-Atlantique par exemple, ou même dans des juridictions plus proches de nous (Pays-Bas ou Israël). La loi du 30 avril 2025 (dite loi DDADUE) va, selon nous, participer à une américanisation de cet outil qui, jusqu’ici, permettait la mise en œuvre de défenses efficaces pour les entreprises. Ceci n’est pas étonnant au regard du fait que cette réforme a été voulue pour permettre la multi­plication de ce type de recours et le nombre de condamnations d’entreprises. Cela étant, un mécanisme judiciaire est-il vraiment un échec simplement parce qu’il n’a pas pour conséquence de condamner plus d’entreprises ? Dans ce domaine, la justice répressive est ainsi mise en avant comme une solution alors que la France et l’Union européenne font peser un fardeau réglementaire sur leurs entreprises bien plus lourd qu’aux États‑Unis par exemple.

Un nombre « limité »
d’actions engagées

Selon le registre de l’Observatoire des actions de groupe, à date, et donc depuis 11 ans, 37 actions de groupe ont été initiées en France (4 en 2014, 3 en 2015, 3 ou 4 en 2016, 3 en 2017, 5 en 2018, 4 en 2019, 4 en 2020, 6 en 2021 et 4 en 2022). S’agissant des domaines dans lesquels ces actions de groupe ont été lancées, il est dénombré, notamment, 20 actions de groupe en consommation, 3 actions de groupe en santé, 2 en données personnelles et 7 en matière de discrimination. Aucune action de groupe en matière d’environnement n’a encore été engagée à notre connaissance.

Comme les parlementaires ont pu le dénoncer, nous sommes donc bien loin des États-Unis où près de 1 500 class actions ont été initiées rien qu’en 2024.

Ces chiffres et le fait que seule une société ait vu sa responsabilité reconnue (le laboratoire Sanofi par jugement frappé d’appel du 5 janvier 2022 relatif à la Dépakine) ont fait couler beaucoup d’encre, au point d’engendrer des débats poussés au sein de ­l’Assemblée nationale. Le groupe de travail dédié aux actions de groupe de ­l’Assemblée nationale a ainsi publié un rapport en juin 2020 dans lequel il qualifiait ce mécanisme de « décevant ».

Quelles étaient les critiques principales à l’encontre de ce mécanisme ? Sa limitation à des domaines spécifiques, le fait que pour certains de ces domaines, seul un nombre très restreint d’asso­ciations ou organisations pouvaient les initier, les coûts élevés et les risques associés à ces procédures n’étaient pas toujours compensés par les gains potentiels les rendant dissuasives. Le lancement de seulement 4 actions de groupe l’année de leur création en 2014, alors même que ce mécanisme était réclamé par certains depuis des décennies, peut cependant s’interpréter également comme une preuve que la culture judiciaire française n’est pas la même que dans d’autres juridictions où ce mécanisme est un « succès ».

Cela étant, la pression politique a été extrêmement forte et, après plusieurs tentatives, a débouché sur la loi du 30 avril 2025.

La loi DDADUE :
un objectif d’attractivité
des associations

La loi du 30 avril 2025, portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne, a marqué un tournant décisif pour l’action de groupe en France. Cette loi a harmonisé les régimes existants, créant un cadre unique et nouveau pour les actions de groupe. Désormais, qu’il s’agisse de consommation, d’environnement, de lutte contre les discriminations, ou de protection des données personnelles, les demandeurs peuvent se regrouper sous un même régime juridique, à l’exception notable de la santé publique. Cette harmonisation a pour objectif affiché de permettre de lever les obstacles procéduraux identifiés cette dernière décennie afin de rendre l’action de groupe plus accessible et donc, pour beaucoup, plus efficace.

On le comprend donc, cette loi introduit des risques supplémentaires pour les entreprises, qui doivent désormais naviguer dans un paysage juridique plus complexe et potentiellement hostile.

Les apports majeurs de cette loi peuvent être résumés ainsi :

– 
tous les domaines pourront être à l’origine d’actions de groupe. Il n’existe plus de cloisonnement ;

– 
tous les préjudices, quelle que soit leur nature, pourront être indemnisés ;

– 
les actions de groupe pourront être financées par des tiers, sous conditions néanmoins ;

– 
les actions de groupe pourront être introduites par toute association agréée (sauf les actions de groupe aux fins de cessation d’un manquement) ;

– 
l’action en cessation du manquement et/ou en réparation du préjudice est désormais ouverte à tous, et n’est plus exclusive du droit de l’environnement ;

– 
il n’y a plus d’exigence d’une mise en demeure préalable ;

– 
l’action peut être dirigée directement à l’encontre de l’assureur de l’entreprise ;

– 
certaines juridictions auront une compétence d’attribution pour traiter de ces actions ;

– 
un registre national des actions de groupe sera créé, ainsi qu’un régime d’actions de groupe transfrontalières.

La loi DDADUE ne revient fort heureusement pas sur le caractère d’opt-in de l’action de groupe. Elle n’ouvre pas non plus la porte à d’autres demandeurs que sous forme d’associations, même si la création d’une association n’est pas une démarche compliquée.

La sanction civile ou le paroxysme de l’ingérence étatique

Une des mesures non listées ci-avant et majeure est la création d’une amende civile à l’encontre de la société défenderesse.

L’article 16 de la loi DDADUE indique ainsi dans un premier temps que « le ministère public peut exercer, en qualité de partie principale, l’action de groupe en cessation du manquement. Il peut également intervenir, en qualité de partie jointe, dans toute action de groupe. « Il ajoute que “une amende civile d’un montant maximal de 50 000 euros peut être prononcée contre le demandeur ou le défendeur à l’instance lorsque celui-ci a, de manière dilatoire ou abusive, fait obstacle à la conclusion d’un accord sur le fondement du jugement ayant ordonné la procédure collective de liquidation des préjudices.” Pire, une “sanction civile en cas de faute dolosive ayant causé des dommages sériels” est créée, spécifiquement à l’encontre des entreprises. La somme perçue sera reversée à un fonds de financement ­d’actions de groupe. Cette sanction ne sera enfin pas assurable.

Cette double faculté de sanction reflète une ingérence de l’État dans les relations privées entre une entreprise et un individu. Or, le Conseil d’État avait émis des réserves sur la possibilité de la création d’une amende civile dans son avis consultatif du 9 février 2023 (publié le 17 février) portant sur la proposition de loi du 15 décembre 2022. Le Conseil d’État estimait ainsi que les principes de nécessité, proportionnalité et légalité et le principe de non-cumul des sanctions devaient faire échec à une telle sanction supplémentaire. Selon lui, ceci pouvait également poser des questions concernant une différence de traitement injustifiée portant atteinte au principe d’égalité devant la justice.

On peut s’attendre à une jurisprudence fournie si de telles sanctions étaient prononcées.

Conclusion :
des dérives malheureuses
qui s’annoncent

En conclusion, l’action de groupe, si elle est mal encadrée, peut devenir un instrument dangereux, transformant un outil de justice en une menace pour les entreprises. Il est crucial de trouver un équilibre entre la protection des droits des individus et la préservation de la stabilité économique des entreprises. La loi DDADUE, bien qu’elle cherche à rendre l’action de groupe plus efficace, doit être mise en œuvre avec prudence pour éviter les dérives observées dans d’autres juridictions. La justice ne doit pas être un instrument de répression, mais un moyen de garantir l’équité et la protection des droits de tous, sans compromettre la viabilité économique des acteurs du marché. Or, il semble que l’action de groupe soit un mécanisme “tout ou rien” lorsqu’on analyse les 10 dernières années en France et qu’on les compare à des juridictions où l’action de groupe fait partie intégrante du paysage juridique et même de la culture et de l’identité de ladite juridiction.